Procès Carlos : les retrouvailles du "Chacal" et de "l’Amiral"

Le juge Bruguière, l’ancien chef de la galerie antiterroriste a déjà déposé pendant sept heures à la barre des témoins du procès Carlos. Il s’est longuement expliqué sur son enquête, a été câliné par les parties civiles et caressé dans le sens du poil par l’avocat général Jean-François Ricard, son ancien adjoint lors qu’il régissait la Galerie Saint-Eloi. Jamais, Jean-Louis Bruguière dit "l’Amiral", n’a coulé sous les coups d’épée dans l’eau des avocats de Carlos, pauvrement inspirés et peu combatifs après trois semaines de procès.

L’heure est maintenant de livrer l’ancienne star des juges anti-terroristes à l’épouvantail Ilitch Ramirez Sanchez dit Carlos. Le "Chacal" contre "l’Amiral", une affiche de match de catch. Un face-à-face qui s’annonce musclé. Depuis trois semaines, Carlos n’a pas perdu une occasion d’insulter son adversaire le traitant d’"agent ennemi" ou de "cocaïnomane". On s’attend au pire.

Hors-sujet, comme d’habitude

Dans son box, Carlos se lève. Calme. Heureux de pouvoir inverser les rôles. Aujourd’hui, le terroriste vénézuélien pose les questions et le magistrat est censé lui répondre.

- Carlos : Vous dites que la Stasi avait un dossier sur moi baptisé "Separat". Ca veut dire quoi ?

- Euh, je ne sais pas, avoue Bruguière, sans voir où l’accusé veut le faire venir.

- Carlos : C’est curieux. Bon. Et "la guerre privée contre la France" dans laquelle je me serais lancé avec les attentats qu’on me reproche à tort. D’où vient cette expression ridicule ?

- Bruguière : Elle ressort des écrits d’un de vos complices.

- Carlos : Bien. Continuons.

Et l’ancien ennemi public numéro 1 de se lancer dans des longues anecdotes, à mille lieux des faits pour lesquels il est jugé. D’abord une histoire de trafic de cigarettes par un ancien responsable des services secrets syriens. Puis d’un rendez-vous secret entre Georges Bush Senior et François Mitterrand. Hors sujet. Comme d’habitude. Depuis le début du procès, Carlos fait mine de confondre Cour d’Assises et cours magistral sur les mouvements arabes à l’Université Patrice-Lumumba. Il ne se défend pas. Il professe.

Le juge Bruguière se détend.

Je suis plus sérieux que les services français

- Carlos : saviez-vous qu’un agent de renseignement syrien jouait au Cercle de l’Aviation quelques jours avant l’attentat de la rue Marboeuf ?

- Bruguière : J’ai vérifié à l’époque et n’ai rien trouvé là-dessus. On a déjà passé des heures là-dessus dans mon cabinet.

- Le président : je préfèrerais que l’on ne passe pas des heures là-dessus justement.

- Carlos : si, c’est important. J’ai gratté là-dessus. Et dans mes enquêtes, je suis plus sérieux que les services français. Mais bon… Continuons.

Le vieux terroriste se lance maintenant dans une digression sur la nature des explosifs utilisés dans les attentats. Puis sur une ex-complice, "ma petite amie à l’époque, elle était très chaude". L’ambiance se détend tout à fait. Carlos en profite pour narrer d’autres faits d’armes extraordinaires. Au sens littéral du terme. Une arrivée à Berlin en provenance de Moscou avec 600 kilos d’armes issues des pays de l’Otan, par exemple.

Bla-bla historico-comique

- Le président , qui voudrait avancer : Bon on a fait le tour, là ?

- Carlos : Non, c’est très important.

- Le président : je ne conteste pas, mais…

Nouvelles digressions de l’accusé. Le juge Bruguière écoute, parfois amusé, toujours stoïque.

- Le président, agacé : La dernière question.

- Carlos : Ah non, on n’a pas encore parlé de la Jordanie. C’est très important.

- Le président, résigné : Bien, allez-y.

Le bla-bla historico-comique reprend, un temps, avant que les débats soient enfin interrompus.

C’est le moment qu’attendait "l’Amiral", aujourd’hui à la retraite et si content de se souvenir du bon vieux temps de la galerie anti-terroriste. Jean-Louis Bruguière s’approche du box, serre la main de son ancien client et les deux hommes commencent à deviser, tout heureux de se retrouver. Comme deux vieux amis. Finalement "le Chacal" est un agneau de lait. "Un sud-américain chaleureux que je n’avais pas vu depuis 1996, confie Bruguière en sortant de la salle d’audience. Carlos était visiblement content de me revoir". Cet après-midi, les Assises ressemblaient à la salle des fêtes de n’importe quelle maison de retraite.

La fin des réjouissances, le verdict, est prévu le 16 décembre prochain.

Olivier TOSCER - Nouvel Observateur - 25 novembre 2011


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