L’indemnisation (2005)

Par MF Steinlé-Feuerbach

Maître de conférence,

Directrice du CERDACC

Journal des accidents et des catastrophes

Pour son 3ème colloque annuel la Fédération Nationale des Victimes d’Accidents Collectifs a réuni des intervenants de qualité et une assistance nombreuse et attentive sous la présidence de M. Jean-Jacques Mengelle-Touya, délégué général.

L’histoire de la FENVAC est retracée par son Président, M. Yann Meheux-Driano. Créée il y a 11 ans, la fédération regroupe maintenant les associations de victimes de 55 accidents collectifs. Il est précisé d’emblée que le thème de ce colloque est délicat car les victimes ne l’abordent pas ; l’important pour une victime, dans un premier temps, est de savoir, de connaître la vérité, l’indemnisation n’est pas une priorité. Pourtant, au fil des accidents collectifs, la FENVAC a pu constater une forte disparité entre les indemnisations, allant parfois du simple au double selon les endroits.

M. Jacques Bresson, Président d’honneur, confirme que l’indemnisation n’est pas la spécialité de la fédération, le rôle de celle-ci est d’écouter les victimes et de servir d’interface avec les pouvoirs publics, mais pas de parler d’argent. L’indemnisation est une question individuelle est non collective, la pudeur des victimes ne permet pas d’en parler. Le mot « indemnisation » ne figure pas dans les statuts. Des évolutions sont néanmoins intervenues et il est apparu qu’il fallait faire une différence entre l’indemnisation des préjudices économiques, qui est parfois urgente pour certaines personnes dans le besoin, et celle du préjudice moral pour laquelle il faut laisser le temps aux victimes. La priorité est de faire la lumière sur l’accident et les victimes préfèrent laisser à la justice le soin de déterminer les montants de leurs préjudices. Pour le préjudice moral, il s’agit de la valeur de la vie de quelqu’un que l’on a aimé, accepter de l’argent pour la mort d’un proche est chose délicate et il faut donc respecter le choix des victimes, aborder l’indemnisation de ce préjudice avec précaution. M. Bresson constate que les choses ont évolué d’une catastrophe à l’autre et confirme la disparité entre les montants d’une juridiction à l’autre, d’un pays à l’autre. Ainsi le montant des dommages-intérêts moraux en Espagne sont cinq fois ceux attribués en France, en Italie le facteur multiplicatif est de dix.
La procédure diffère selon les situations, elle peut être transactionnelle en fonction de la volonté de l’entreprise à l’origine de l’accident, mais elle est aussi parfois à l’américaine, et on voit alors des avocats se précipiter pour faire miroiter des fortunes aux victimes !

Le colloque débute par l’état du droit et des pratiques en France.

Le thème de ce colloque a également surpris M. Hervé Machi, chef du Bureau d’aide aux victimes et de la politique associative au Ministère de la Justice, car l’indemnisation n’a jamais été une priorité de la FENVAC, ni -ainsi que cela a été perçu au Ministère- des victimes. Celles-ci préfèrent s’en remettre aux juges tout en constatant qu’il n’y a pas d’harmonisation sur le territoire. La prise en charge des victimes d’accidents collectifs s’est faite de manière empirique par le Ministère après Furiani. Il convenait d’effectuer une gestion globale en facilitant une meilleure information des victimes, une amélioration de la prise en charge psychologique et enfin une indemnisation équitable. Depuis, des tentatives de modélisation en été effectuées par la Chancellerie, mais tout n’est pas parfait.
M. Machi précise que le Guide méthodologique de 2004 (Cf. JAC n° 51) n’est pas une loi, il n’y a donc aucune obligation de le suivre ; le rôle de la Chancellerie est d’arriver à mettre les acteurs d’accord. Sur chaque accident il faut convaincre, aborder avec prudence la question des indemnisations. Pour la mise en place d’un dispositif amiable permettant des avances sur indemnisation, toute la question, dans un premier temps, est de déconnecter l’indemnisation du procès pénal ; si on pense que l’indemnisation a pour but de réparer une faute et non un préjudice, on se trompe ! L’indemnisation est individuelle, et celui qui est amené à payer le fait pour le compte de qui il appartiendra et pourra se retourner après le procès pénal contre le responsable désigné. Il importe que l’indemnisation amiable ne soit pas inférieure à ce que la victime toucherait lors d’un procès.

En ce qui concerne la différence entre les montants accordés par les différentes juridictions, M. Machi est ferme : il faut respecter l’imperium du juge tout en veillant à une harmonisation.
Cette harmonisation est obtenue par voie conventionnelle avec une simplification des procédures, une expertise médicale unique, un guichet unique (les victimes s’adressent à leur propre assureur), la mise en place d’une procédure d’indemnisation rapide. Les conventions fixent le cadre général, ensuite le rôle des associations d’aide est important, celui des associations de victimes l’est également. La victime est libre d’accepter ou non la voie conventionnelle.
A titre d’illustration, Hervé Machi donne trois exemples d’accidents collectifs dont la responsabilité repose sur des fondements juridiques différents, ce qui influe sur leur traitement. L’explosion de l’usine AZF à Toulouse relève de la responsabilité objective du fait des choses (art. 1384 al. 1 C.C.), il y avait donc un responsable présumé ce qui a permis la mise en place d’un comité de suivi et la signature d’une convention dans un temps record. Pour un autre accident, l’incendie avait précédé l’explosion, il n’y avait donc pas de présomption de responsabilité (art. 1384 al. 2 C.C.) et par conséquent pas de comité de suivi (bel exemple de l’anachronisme du second alinéa de l’art. 1384 ; Cf. MF Steinlé-Feuerbach, JCP N, 1993, I, 38) des réunions ont toutefois permis de mettre en place un dispositif avec une expertise unique, certains assureurs ont accepté d’indemniser sans franchise. En ce qui concerne l’explosion de Mulhouse du 26 décembre 2004, il n’y avait pas de fondement juridique évident mais Gaz de France a accepté, sans présomption, de prendre en charge les préjudices matériels qui n’étaient pas garantis par les assureurs de dommages aux biens. Dès lors qu’il existe un fondement juridique clair et un responsable présumé et solvable la situation est plus simple ; sinon il est tout de même possible de faire quelque chose si on est en présence d’assureurs compréhensifs et d’entreprises citoyennes. Au-delà, il reste la possibilité du recours à la CIVI.

Les associations de victimes participent maintenant aux comités de suivi, on peut s’interroger néanmoins sur le risque de confusion des intérêts de chacun. Les victimes doivent conserver le choix d’accepter ou non la transaction. Il ne faut pas confondre faute et indemnisation ; la Chancellerie n’est pas favorable aux dommages-intérêts punitifs. La question principale est celle de la désignation des responsables et il ne faut pas que les victimes perdent leur âme à la recherche de l’indemnisation. Pour ce qui est des dommages-intérêts, un travail sur une nomenclature des chefs de préjudices est en cours. S’agissant de la disparité des taux en Europe il faut comparer ce qui est comparable, ainsi l’Italie ne dispose pas des CIVI, les victimes sont obligées de s’en remettre au juge. On avancera sans doute vers une harmonisation européenne qui se fera progressivement.

La parole étant donnée à la salle, M. Machi est interrogé sur les actions possibles dans l’accident d’autocar qui a eu lieu au Maroc le 29 mars 2005. Il répond que s’il n’a pas été possible de mettre un dispositif en place, ce n’est pas parce que l’accident a eu lieu à l’étranger, mais en raison de l’extrême rapidité de l’instruction marocaine. Les plaintes françaises sont regroupées au TGI de Laval en attendant l’évolution de la procédure marocaine. En ce qui concerne l’indemnisation des victimes indirectes, la loi applicable est la loi marocaine (Cf. Civ. 1ère, 28 octobre 2003, PA, 23 décembre 2003, n° 255, note P. Ancel ; JCP G, 2004, II, 10 006, note G. Lardeux ; Resp. civ. et assur., 2004, comm., 17, n° 30, note H. Groutel ; MF SF, JAC n° 46) toutefois la voie de la CIVI reste ouverte.

C’est précisément de la CIVI et du FGTI (Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions) dont il est question dans l’exposé suivant. M. Alain Bourdelat, Directeur général du FGTI vient pour la première fois à un colloque organisé par la FENVAC. Il expose le rôle du Fonds et celui des CIVI et rappelle que le Fonds a participé au comité de suivi de Toulouse. Le Fonds peut intervenir avant toute condamnation pénale et toute détermination de responsabilité, il indemnise les victimes de dommages corporels selon les règles du droit commun et est ensuite subrogé dans les droits des victimes. Depuis la loi Perben II, il est tenu de présenter rapidement une offre. L’historique du Fonds est retracé avec ses étapes clés (lois du 9 septembre 1986, du 6 juillet 1990, du 9 mars 2004) et son mode de financement décrit (contribution des assurances dommages, recours contre les responsables, placements financiers). Les actions récursoires menées à l’encontre des responsables sont en augmentation. M. Bourdelat décrit ensuite les deux mécanismes -terrorisme et victimes d’infractions- les conditions d’intervention du Fonds et les procédures.
Le recours à la CIVI est une dérogation à la règle « le criminel tient le civil en l’état ». Depuis le décret du 28 mai 2005 la procédure devant la CIVI est d’abord transactionnelle, le Fonds fait une offre à la victime dans un délai de 2 mois à partir de la remise du dossier, le règlement amiable donne une dimension humaine à l’indemnisation ; la procédure devient juridictionnelle si la procédure amiable échoue.
Le FGTI a des moyens techniques d’intervention car il s’appuie sur le FGAO (Fonds de garantie des assurances obligatoires) et ses 225 collaborateurs. La loi du 30 juillet 2003 a donné au FGAO une mission dans le cadre des dommages d’accidents technologiques. Le Fonds de garantie est un acteur de la prise en charge d’accidents collectifs (DC 10, Furiani, Air Sénégal, Karachi, Charm el Cheikh ).

L’INAVEM est représenté par son directeur, Jean-Luc Domenech, lequel retrace l’histoire et le rôle de la fédération et des associations de son réseau. Crée en 1986, l’INAVEM est devenu une fédération en 2004 et regroupe actuellement 155 associations d’aide aux victimes. Ici encore des évolutions sont observées. Au départ, il s’agissait essentiellement d’une mission d’assistance, actuellement il y a une forte demande d’aide psychologique. Au-delà, plusieurs avancées ont été effectuées : la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence et les droits des victimes oblige les services enquêteurs à informer les victimes de la possibilité de s’adresser à une association d’aide et incite les procureurs à recourir aux associations pour assister les victimes en difficulté. M. Domenech attire l’attention sur le numéro national d’aide aux victimes (08VICTIMES) ainsi que sur la signature de conventions entre l’INAVEM et des entreprises ou des administrations. Au départ l’aide était surtout apportée à des victimes de violences individuelles, elle est aujourd’hui dirigée également vers les victimes d’accidents collectifs. Les expériences du Mt Sainte Odile et de Furiani ont donné lieu à une première évolution des dispositifs. Le retour d’expérience tiré de la gestion de plusieurs événements a permis la rédaction d’un guide méthodologique. Les associations d’aide sont mobilisées en cas d’accident collectif, elles sont notamment sollicitées pour faire progresser les listes des victimes et de leurs ayants droit, les psychologues du réseau sont mobilisés si cela est nécessaire. L’INAVEM, avec son réseau, est intervenu dans les catastrophes collectives récentes (incendie du Tunnel du Mont-Blanc, accident du parc de Pourtalès à Strasbourg, AZF à Toulouse, naufrage du Joola au Sénégal, effondrement de la passerelle du Queen Mary II à Saint-Nazaire, crash de Charm El Cheikh, explosion au gaz de Mulhouse, accident aérien du Venezuela) et a été sollicité lors du rapatriement des Français de Côte d’Ivoire ainsi qu’au moment du tsunami en Asie.

Le « mode opératoire » de l’INAVEM en cas d’accident collectif est décrit : lancement d’une alerte, contact immédiat avec la cellule de coordination de la Chancellerie et mobilisation des associations du réseau, à la fois celle du lieu de l’accident et celles des lieux de résidence des victimes et de leurs familles. Le 08VICTIMES est également mobilisé. L’INAVEM est missionné par le ministère de la Justice. Jean-Luc Domenech souligne l’importance de l’élaboration des listes de victimes, les associations locales recensent l’ensemble des ayants-droits. Dans certaines circonstances l’INAVEM intervient également dans l’attribution des fonds d’urgence.
L’action dans l’urgence est relayée par une action dans la durée. Ainsi, l’INAVEM et les associations de son réseau informent les victimes des différentes voies d’indemnisation qui leur sont offertes, les victimes conservant bien évidemment leur autonomie de décision. Ensuite, l’accompagnement et le suivi des victimes sont assuré, éventuellement jusqu’au déroulement du procès pénal.

M. Jean-Marc Houisse, du GEMA, partage les propos tenus par Jacques Bresson sur le tabou de l’indemnisation, ce serait illusoire de croire qu’il existe un moyen de compenser la perte d’un être cher. Les événements collectifs se sont multipliés ces dernières années, chacun de ces événements est intolérable. Sans préjuger des fautes et des responsabilités, l’ensemble du corps social doit s’engager pour aider les victimes. M. Houisse croit à une action citoyenne, les assureurs doivent s’engager dans l’urgence. Pour le crash au Venezuela, le 16 août 2005, la MAIF a dépêché sur place une équipe de professionnels pour apporter un soutien moral et financier, les indemnités contractuelles ont été versées dans les 15 jours. L’assureur est un débiteur d’indemnités mais également un vecteur des recours, il lui faut glaner des informations et construire un dossier pour exercer ces recours. S’agissant de champ d’intervention de l’assureur, le caractère collectif d’un événement ne doit pas empêcher la mise en œuvre des garanties souscrites au profit de chaque assuré. Le contrat peut se cumuler avec l’indemnisation finale dès lors qu’il s’agit d’un versement forfaitaire (capital décès, indemnité journalière). Si en revanche la prestation de l’assureur est indemnitaire, il s’agit d’une avance sur recours et l’assureur peut avancer des sommes importantes. L’objectif est de favoriser une indemnisation intégrale rapide, d’éviter la « paperasserie », de veiller à la cohésion du processus et à un traitement égalitaire mais personnalisé. Il convient d’organiser les rapports entre assureurs pour favoriser les assurés.
M. Houisse distingue plusieurs situations. Si le payeur est bien identifié, comme dans l’explosion de l’usine AZF, l’indemnité peut être versée par l’assureur direct de la victime qui exercera ensuite son recours. Avec un payeur identifié mais une catastrophe moins étendue, c’est l’assureur de responsabilité civile du responsable qui est concerné en premier. En revanche, en cas de force majeure, il n’y a pas de responsable et chaque victime est renvoyée vers son assureur qui indemnisera en fonction du contrat (GAV, Praxis).
Poursuivant, le conférencier expose les procédures d’indemnisation. Pour les dommages matériels, il faut faciliter leur évaluation à travers l’expertise. L’objectif est de fluidifier l’expertise en instaurant trois niveaux selon les montants : absence d’expertise, puis expertise unique et enfin expertise contradictoire pour les dommages dépassant un certain seuil. Pour le dommage corporel, il y a une dimension humaine tragique supplémentaire. Deux solutions sont envisageables, soit un processus comparable à celui exposé précédemment pour le dommage matériel, soit la création d’un fonds d’aide et d’indemnisation à condition toutefois que l’assureur ait la liste des victimes. Il faut veiller à un nombre suffisant de médecins experts, construire une grille d’évaluation des provisions et créer un référentiel indemnitaire.
En conclusion, il convient de dresser le bilan pour affiner la pratique. Après AZF, a été créé un dispositif conventionnel spécifique. Il faut une solution collective acceptable par tous. M. Houisse partage ce qui a été dit quant aux écarts d’indemnisation ; les assureurs (FFSA et GEMA) sont prêts à participer à une réflexion pour établir une base équitable, ils ont commencé un travail qui pourrait donner satisfaction aux victimes et aux professionnels intéressés. Il faut sécuriser la matière sur un plan juridique par un référentiel qui pourrait être personnalisé.

Anne d’Hauteville note les progrès effectués et soulève la question de l’indemnisation des blessés graves en capital ou en rentes (Cf. Y. Lambert-Faivre, Rapport sur l’indemnisation du dommage corporel, CNAV, juin 2003, Groupe de travail du CNAV n° 2, chap. III ; Droit du dommage corporel, systèmes d’indemnisation, Précis Dalloz, 5ème éd., 2004 ; F. Bibal, Un enjeu majeur de l’indemnisation du dommage corporel : le choix du barème de capitalisation, Gaz. Pal, 14 décembre 2002, 22 ; J. Grimaldi, Réparation du dommage corporel : obsolescence des barèmes de capitalisation et liberté du juge, Gaz. Pal., 15-17 juin 2003, 10). M. Houisse répond qu’il faut accompagner les victimes au-delà du règlement, il y a un devoir moral de veiller à la modalité de l’indemnisation. M. Machi ajoute que la Chancellerie est concernée par cette question et qu’elle est prête à en discuter, il invoque le rapport Lambert-Faivre et annonce que l’on est sur le point d’aboutir à une refonte du taux et de proposer une nouvelle table.

Après l’état du droit et des pratiques en France, viennent les témoignages sur la gestion des indemnisations des grandes catastrophes récentes.

L’explosion de l’usine AZF à Toulouse réunit autour d’une même table M. Patrick Timbart de la direction des ressources humaines du groupe Total et M. Gérard Ratier, président de l’association des familles endeuillées d’AZF Toulouse et Me. Stella Bisseul, avocat de l’association.
L’ampleur de la catastrophe est soulignée par M. Timbart : 30 morts, plus de 15 000 blessés et plus de 200 000 personnes concernées par des dommages. S’y ajoute une catastrophe économique car le pôle chimie va être stoppé. Une attention particulière a été portée aux familles endeuillées mais le gigantisme de la catastrophe a soulevé des difficultés de gestion. De plus, 10 jours après le 11 septembre, l’origine de la catastrophe était objet de polémique.

Pour Total, ce sont 2 milliards d’euros d’indemnité qu’il faut régler. Le président du groupe Total s’est immédiatement engagé et la création du comité de suivi a débouché sur la signature d’une convention. Pour faire face à la crise il a fallu mobiliser les moyens, les savoirs-faire des grands projets industriels, avoir une attitude de dialogue et de proximité et de dialogue avec les parties présentes et mener immédiatement une action d’ordre social et hors toute indemnisation. L’engagement crédibilise et permet de passer du rôle de coupable à celui de partenaire dans la réparation des dommages. Pour le responsable objectif, il est difficile d’avoir un comportement et des actions dont on peut penser qu’ils peuvent l’auto désigner comme responsable. Une plate-forme propre à Total a été mise en place rapidement ainsi qu’un protocole d’expertise. Les quartiers les plus touchés étaient les quartiers les plus sensibles. Pour l’indemnisation, le barème de Toulouse est un des plus élevé de France, les avis ont été partagés sur la question des préjudices spécifiques, beaucoup, y compris les avocats et les magistrats craignaient une novation qui pourrait mettre en cause notre système d’indemnisation. Finalement, il a été décidé une majoration des montants de certains chefs de préjudice ainsi que la prise en considération d’un préjudice spécifique. Les employés de Total ont été doublement victimes car ils étaient montrés du doigt et craignaient pour leur emploi. Deux mille emplois ont été créés sur Toulouse en partenariat pour un institut de sécurité industrielle. AZF estime avoir eu un comportement décent avec les victimes.

De côté de l’association des victimes, sont exposées les difficultés rencontrées pour voir figurer les engagements verbaux dans les comptes-rendus des réunions du comité de suivi. Il faut être vigilant et exigeant même si cela dérange, l’interprétation d’un mot peut être source de litige. M. Timbar a su mener les négociations de manière cordiale même si les victimes n’ont pas toujours obtenu satisfaction. Pour l’avocate, il faut un pilote dans l’avion et ce pilote c’est le ministère de la Justice. Il y a un danger dans les systèmes amiables, il se profile des barèmes qui arrivent de manière souterraine à partir de statistiques ; pour l’instant cela est plaidé, mais si ce n’est plus le cas l’indemnisation va être figée. Me. Bisseul déplore que les conventions figent les barèmes, ainsi pour la perte d’ouïe, le préjudice d’agrément a été fixé entre 3000 et 4000 euros, ensuite on ne peut plus discuter.

M. Hervé Machi réagit à ces propos : on est davantage en situation de pouvoir faire évoluer les choses dans un comité de suivi, ainsi pour l’accident de la passerelle du Queen Mary II on parle de référentiel et non de barème.

L’explosion au gaz de Mulhouse du 26 décembre 2004 est évoquée par Mme Katia Cheron, de la direction juridique de Gaz de France et par Me Sophie Pujol-Bainier, avocat de l’association des victimes. Selon Mme. Cheron, Gaz de France a procédé à un versement de fonds et a souhaité relayer l’action auprès des victimes dans une perspective de concertation et de rapidité. La réponse devait s’inscrire dans des cadres préexistants, l’entreprise a utilisé le guide méthodologique. Gaz de France a estimé pouvoir faire un geste socialement responsable en dehors de toute reconnaissance de responsabilité. La convention n’a été signée que le 6 juillet 2005 car il fallait laisser aux différents acteurs le droit de s’exprimer. L’entreprise et ses assureurs ont pris un engagement pour le compte de qui il appartiendra. Certaines victimes étaient dans une situation de grande précarité car elles avaient des garanties assurantielles inférieures aux dommages subis. Gaz de France a pris en charge les éléments non couverts par les assurances et les situations de non-assurance. Pour le corporel, une expertise unique a été mise en place et, vers la fin de la négociation, l’entreprise a souhaité mettre en place des avances sur le préjudice moral. Gaz de France souhaite que son expérience profite à d’autres entreprises.

Me. Pujol-Bainier rend compte de ce qui a été mis en place à Mulhouse. Quarante familles étaient concernées. S’agissant du préjudice moral, l’Alsace a une des cours d’appel ayant les barèmes les plus défavorables. De nombreuses victimes ont saisi la CIVI et ont été indemnisées sur les faibles bases alsaciennes. Après un échange avec Gaz de France, la convention a adopté un barème trois fois supérieur à celui des juridictions locales, tout en préservant l’individualisation des situations. Le rôle de l’avocat est de recevoir les familles et de leur apporter des explications. L’avocate considère que le préjudice moral n’est pas le prix d’une vie, sinon on ne pourrait que le refuser, c’est le prix d’une douleur. Procéder rapidement à l’indemnisation du préjudice moral permet de régler la question pour se consacrer entièrement à la recherche de la vérité. A Mulhouse, le GEMA et la FFSA ont quitté rapidement la table des négociations, il n’y a pas eu de guichet unique.
Les assureurs réagissent immédiatement. Mme. Catherine Traca répond que le GEMA regrette la lenteur du dossier, le problème était en l’espèce l’absence d’un engagement écrit de Gaz de France au sujet du remboursement des dépassements des montants garantis. Mme. Valérie Dupuy, de la FFSA, renchérit : elle a assisté à toutes les séances et confirme les paroles de Mme. Traca : les assureurs étaient prêts à faire des avances et à indemniser dans le cadre de la loi Bachelot (Cf. MF. Steinlé-Feuerbach, L’indemnisation des victimes organisée par la loi et le rôle central de l’assurance, in Les risques technologiques - La loi du 30 juillet 2003, sous la direction de MP. Camproux-Duffrène, PUS 2005) mais il n’y a jamais eu d’accord de Gaz de France pour rembourser le différentiel, néanmoins certains assureurs ont pris des engagements.

Est ensuite abordé l’incendie du tunnel du Mont Blanc. Me. Matteo Rossi, avocat de l’association des victimes intervient avec M. Pierre-Etienne Denis, vice-président de cette association.
L’avocat italien souligne la difficulté liée à l’aspect international de la situation : des personnes de 9 nationalités différentes et le lieu de l’accident à cheval entre la France et l’Italie à la moitié du tunnel. Il y avait donc une multiplication des systèmes et des modalités d’indemnisation. Ainsi, entre la France et l’Italie, se pose un problème de quantification des indemnisations, la fourchette étant très importante. Le procès a eu lieu en France, son organisation a été impeccable.
M. Denis rappelle la Déclaration universelle des droits de l’homme selon laquelle les hommes naissent égaux, or la catastrophe du tunnel a rassemblé des victimes de nationalité différentes qui ont été traitées de manières différentes selon l’endroit où elles sont décédées. La souffrance n’est pas quantifiable, mais elle a un coût. A l’heure où on parle d’Europe, pourquoi ne pas harmoniser ? Lors de la première assemblée constitutive de l’association des victimes à Chamonix les familles apprenaient la différence des montants d’indemnisation alors que leurs proches étaient encore dans le tunnel… Fallait-il ou non accepter le débat ? La première chose est la recherche de la vérité, mais très rapidement s’est ajouté le souci d’une égalité et d’une dignité dans l’indemnisation du préjudice. Comment dire à un enfant slovène que la peine qu’il éprouve à la mort de son père vaut 2 fois, voire 10 fois moins que celle d’un enfant d’une autre nationalité ? Le vice-président de l’association relève la qualité exceptionnelle du procès de Bonneville. Il ajoute que la force morale forgée dans le drame est celle que chacun met dans la FENVAC pour la prévention, cette force peut déplacer des montagnes.
Me. Rossi rappelle qu’un fonds de solidarité a été créé, des résultats exceptionnels ont pu être obtenus grâce à une négociation longue et complexe et à la bonne volonté des acteurs, sans la présence de l’association des familles des victimes cela n’aurait pas été possible.

Le colloque se poursuit sur les perspectives et les orientations.

Le professeur Claude Lienhard intervient ensuite en sa qualité d’avocat. Il rappelle qu’il n’y a rien de plus précieux pour un homme, une femme ou un enfant que de pouvoir jouir dans la durée et la permanence d’une pleine capacité physique, psychique, intellectuelle et sociale. L’accident collectif porte atteinte à cette capacité. Il faut alors défendre le droit à une indemnisation intégrale. On pourrait croire au premier abord que le principe de la réparation intégrale n’est ni discutable, ni négociable, car consubstantiel à notre système juridique, constitutionnellement protégé, bénéficiant d’un bouclier européen, tout ceci se justifiant, car ce droit n’est que le reflet d’un choix d’une hiérarchie de valeurs. Le droit à la réparation du dommage corporel est aujourd’hui en pleine évolution. A bien y regarder, de façon macroscopique, y soufflent des vents parfois violemment contraires. Se profilent de nouveaux horizons, de nouveaux dangers et de nouvelles garanties.
De multiples réflexions sont en cours : le rapport Lambert-Faivre de juin 2003, le rapport Dintilhac de 2005, le groupe de réflexion de la Cour de cassation sur l’incertitude et la réparation, le rapport du Conseil d’Etat de 2005 sur la responsabilité et la socialisation du risque, le rapport Télémaque 2005 du Commissariat au Plan sur l’Etat et l’arrivée de nouveaux risques, le rapport Catala de 2005 sur la réforme du Code civil…Au-delà, se profilent de nouvelles pistes comme les dommages-intérêts punitifs et la procédure de la class action.
En même temps, un courant doctrinal dénonce l’inflation des chefs de dommage, l’inflation des montants, et vise à remettre en cause la réparation intégrale. Il est demandé à l’Etat d’user de tout son pouvoir de régulation pour éviter que les indemnités n’augmentent, c’était l’une des conclusions du groupe de travail de Télémaque.
De nouvelles garanties sont indispensables pour les victimes, elles passent d’abord par le collectif et c’est là que la FENVAC a un rôle à jouer. Le juge républicain est le garant de la réparation intégrale, il faut lui conserver son pouvoir souverain, ne pas le brider, le guider dans le cadre d’une nomenclature toujours indicative, de référentiels souples. La contractualisation peut se situer dans le champ juridictionnel, dans le mécanisme de l’homologation.
Il faut toujours respecter l’équilibre entre le droit des victimes et le droit des assurances et Me. Claude Lienhard suggère la création des états généraux des associations de défense des victimes.

En conclusion de ce colloque extrêmement dense, M. Jean-Jacques Mengelle-Touya propose la mise en place d’une commission de réflexion au sein de la FENVAC et invite toutes les personnes intéressées par la problématique de l’indemnisation à y participer.

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