Aide aux victimes : les mauvaises manœuvres du gouvernement

Alors qu’un hommage sera rendu vendredi aux 86 personnes tuées à Nice le 14 juillet 2016, le gouvernement a annoncé comment il comptait organiser l’aide aux victimes. Les associations s’insurgent contre cette réforme.

En un instant, le combat de sa vie a disparu. Tant d’énergie à s’agiter, dire, construire, témoigner. Pour voir le résultat rayé « d’un trait de plume ». Françoise Rudetzki n’a pu empêcher ses yeux de rougir lorsqu’on lui a appris que le gouvernement d’Edouard Philippe n’entendait pas pérenniser le Secrétariat général de l’aide aux victimes (Sgav) créé le 17 février par le gouvernement de François Hollande. Pour elle, ce sont trente années qui filent par une fenêtre : en 1985, deux ans après avoir eu les jambes broyées par une bombe au Grand Véfour, elle fonde SOS Attentats, la première association française de victimes du terrorisme. Depuis, d’autres collectifs sont nés et la multiplication des tueries au nom de l’Etat islamique (EI) a transformé la prise en charge des victimes en un enjeu politique majeur. Qui dit beaucoup de la façon dont le pays entend panser ses plaies individuelles et collectives. « Les victimes de terrorisme, ce sont des morts et des blessés qui ne le sont que parce qu’ils sont français. C’est la politique publique la plus noble qui soit », analyse un ancien conseiller ministériel. Dans sa réponse, l’Etat n’a cessé de monter en puissance, des attentats de Charlie à ceux de novembre 2015. Avec, en point d’orgue, la nomination, en février 2016, de Juliette Méadel comme secrétaire d’Etat chargée de l’Aide aux victimes. Un portefeuille qui a déjà existé pendant le quinquennat Chirac mais qui n’avait jusqu’alors jamais été directement placé sous l’égide de Matignon.

Sanctuaire précaire

A l’époque, les associations applaudissent. « Le fait que Juliette Méadel était rattachée au Premier ministre a été d’une réelle efficacité », assure Stéphane Gicquel (lire ci-contre), secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac). « Un secrétariat d’Etat rattaché à Matignon permettait d’imposer des décisions aux différents ministères avec l’appui du Premier ministre »,confirme Juliette Méadel. C’est ainsi qu’un sanctuaire, quoique précaire, a vécu près d’une année et demie.

Par prudence autant que par lucidité, Matignon choisit d’adosser un secrétariat général au secrétariat d’Etat de Juliette Méadel cet hiver, en pleine campagne présidentielle. Une organisation administrative logée dans une coquille politique. Au nom de l’efficacité - son maître mot - le candidat Macron ne fait pas mystère de son intention de nommer un gouvernement riquiqui : le poste de Méadel n’a aucune chance de survivre. Mais le gouvernement espérait avoir créé avec le Sgav une entité capable de résister au changement de majorité. D’autant que ce guichet unique avait l’approbation de presque tout le monde : associations, parlementaires et ministères. Tout le monde sauf le ministère de la Justice, au sein duquel se logeait un ancestral service d’aide aux victimes (le Sadjav). Dès le début, « certains à la Justice ne supportaient pas l’idée même que le Sgav puisse exister. Ils étaient dépossédés de leur fonction alors qu’elle était partielle », commente une source politique. Chargé de faire travailler les ministères ensemble - l’Intérieur et les Transports en cas de crash d’avion par exemple -, ce Sgav est lui aussi placé sous l’autorité directe du Premier ministre. « Soit on coordonne au bon niveau, soit on fait de la merde », lâche un ancien conseiller ministériel. Las. Mi-mai, sans surprise, le gouvernement Philippe 1 est créé sans secrétariat d’Etat aux Victimes, mais le vrai choc survient dix jours plus tard pour les associations. Sous la houlette de François Bayrou, un décret daté du 24 mai redéménage l’aide aux victimes vers la place Vendôme, effaçant son autonomie et son caractère interministériel.

« Bayrou sait l’importance de cette aide aux victimes d’un point de vue politique : il la voulait pour lui », accuse carrément un conseiller. Les jours du Sgav sont comptés. « Ils ne nous ont jamais expliqué pourquoi ils prenaient cette décision, alors que toutes les associations étaient satisfaites du dispositif », déplore Emmanuel Domenach, cofondateur de l’association 13 Novembre : fraternité et vérité. Les associations entrent en résistance, exigeant, au mieux, un nouveau secrétariat d’Etat, au pire, un poste interministériel dépendant de Matignon pour lui donner le même poids que le précédent face aux différents ministères concernés. Car l’aide aux victimes, c’est autant l’accompagnement juridictionnel que des parcours de soins médicaux atypiques ou l’aide à la réinsertion profesionnelle et la reprise d’études. Du coup, à l’approche de la commémoration de l’attentat de Nice à laquelle Macron participe ce 14 juillet, c’est le branle-bas de combat. L’exécutif est contraint de revoir sa copie à la hâte. « On a mis deux mois pour réaliser », concède un conseiller présidentiel.

« Transversalité »

Dans l’espoir d’éteindre la grogne, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, fait savoir dimanche qu’un poste de délégué interministériel va être créé mais qu’il restera dans son giron. Les associations de victimes mettent un dernier coup de pression lundi en écrivant une lettre ouverte au chef de l’Etat. En vain. Mercredi, après avoir présidé un comité interministériel à Matignon, le Premier ministre annonce que la fonction sera confiée à une magistrate, Elisabeth Pelsez, ancienne des cabinets des ministres Clément et Dati à la chancellerie. Mais le poste reste bien logé au ministère de la Justice et non à Matignon. « L’action de l’Etat ne peut pas être simplement pensée de façon verticale, elle est transversale », plastronne Edouard Philippe. Pour accompagner « globalement et totalement » les victimes, des « référents » seront nommés dans tous les ministères, charge à la nouvelle déléguée de les coordonner.

Même si elle devrait récupérer les moyens humains dédiés au Sgav (cinq personnes en poste, neuf prévues pour la fin 2017), on est très loin du poids politique que pouvait avoir un secrétaire d’Etat - rattaché à Matignon - face à ses collègues membres du gouvernement. « Ils foutent un an et demi de boulot en l’air, c’est un crève-cœur », lâche Domenach. Cerise sur le gâteau, Elisabeth Pelsez, qui était magistrate de liaison à Londres, n’entre pas en fonction tout de suite. « Mais le Président m’a autorisé à indiquer que cette nomination en Conseil des ministres aurait lieu prochainement », promet le chef du gouvernement. A quarante-huit heures de l’hommage aux victimes de Nice, il fallait aller vite. Pour les caméras.

Date : 12/07/2017
Auteurs : Willy Le Devin , Laure Bretton , Ismaël Halissat
Source : Libération

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