Besoin de reconnaissance, appât du gain... Pourquoi des affabulateurs se sont fait passer pour des victimes d’attentats

"Je sais, c’est inadmissible ce que j’ai fait." Debout à la barre du tribunal correctionnel de Versailles (Yvelines), Laura Ouandjli présente ses excuses sans se départir de son aplomb. La jeune femme de 24 ans comparaissait, le 21 novembre 2016, pour avoir prétendu être une victime des attentats du 13-Novembre à Paris. Elle a en effet tenté d’obtenir 20 000 euros d’indemnisation de la part du Fonds de garantie des victimes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). "Il y a des vraies victimes, et moi j’ai joué à ça ! Mais comprenez, je pensais à ma fille, il y avait les factures et les charges à payer. Vraiment, je suis désolée, désolée."

En décembre 2015, Laura Ouandjili affirme à la police qu’elle était à la terrasse du Carillon le soir du 13-Novembre, décrivant "les morts", "les blessés", "le sang". Elle évoque même "le souffle" de l’explosion. Problème : il n’y a jamais eu de déflagration au Carillon. Les terroristes ont fait quinze victimes en tirant à la Kalachnikov sur les clients du restaurant. Le procès révèle l’ampleur de l’escroquerie. "Elle avait une photo montrant son bras brûlé par la bombe. Il s’agissait d’un montage, réalisé à partir d’une image prise sur internet, se rappelle Olivier Saumon, l’un des avocats du FGTI, interrogé par franceinfo. Elle avait aussi produit de faux certificats, à partir de documents appartenant à son mari." La jeune femme ne souffre en réalité d’aucune blessure. Et la géolocalisation de son portable révèle qu’elle se trouvait dans les Yvelines au moment de l’attaque. Laura Ouandjili écope d’un an de prison ferme pour cette tentative de fraude.

Une quinzaine de "fausses victimes"

La jeune femme n’est pas la seule "fausse victime" des attentats. Une quadragénaire a été condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir demandé une indemnisation, prétendant se trouver à la terrasse du Carillon, selon Le Parisien. Une autre a été condamnée à six mois avec sursis pour avoir affirmé qu’elle avait fui le Bataclan par une fenêtre en se faisant "un bobo au doigt". Elle avait en réalité appris la tuerie alors qu’elle se trouvait dans une clinique d’Ile-de-France pour une intervention bénigne, rapporte Le Figaro.

On dénombre une dizaine de tentatives de fraudes pour les attentats de Paris et cinq pour celui de Nice. En proportion, ce phénomène est heureusement extrêmement marginal.

Olivier Saumon
à franceinfo

Dans la plupart des cas, les fraudes ont été détectées avant que les indemnités ne soient versées. "Le premier niveau de vérification est judiciaire : lorsque ces personnes déposent plainte, les policiers détectent les incohérences dans les témoignages", explique l’avocat. D’autres garde-fous ont été mis en place au niveau du FGTI. "Lorsque nous avons créé le site internet pour l’aide aux victimes, nous avons mis en place une procédure pour faciliter les demandes d’indemnisation mais aussi certifier la véracité des demandes, détaille Juliette Méadel, ancienne secrétaire d’Etat à l’Aide aux victimes, à franceinfo. Les victimes doivent renseigner des informations précises et fournir des justificatifs, comme le procès-verbal du dépôt de plainte et des certificats médicaux."

Ces éléments sont croisés avec les données enregistrées par les autres administrations, comme le parcours de soin enregistré par la Sécurité sociale. Les incohérences sont ainsi rapidement décelées par le FGTI. "Cette démarche est similaire à n’importe quelle demande d’indemnisation auprès d’une assurance", rappelle Juliette Méadel. En cas de suspicion de fraude, la police peut également géolocaliser les portables des victimes pour s’assurer qu’elles étaient bien sur les lieux de l’attentat, ajoute Olivier Saumon.

Deux récidivistes écopent de peines exemplaires

Deux Antibois, Vera Vasic et Sasa Damjanovic, ont toutefois réussi à passer entre les mailles du filet. En novembre 2015, le couple est confronté à des gros problèmes d’argent. "Ils doivent plus de 45 000 euros à des malfrats de la région, plus les frais médicaux dus à la maladie d’un de leurs enfants et des menaces d’expulsion de leur logement", affirme à franceinfo Jean-Pierre Andréani, leur avocat. Ils décident de demander une indemnisation au FGTI après avoir observé les démarches administratives entamées par une cousine de Vera Vasic, gravement blessée lors de l’attentat au Stade de France. Certificats médicaux à l’appui, ils prétendent avoir également été soufflés par l’explosion. Vera Vasic et Sasa Damjanovic sont intégrés à la liste unique des victimes (LUV) des attentats et touchent chacun 30 000 euros d’indemnités.

Quelques mois plus tard, le couple récidive. Vera Vasic et Sasa Damjanovic se trouvent à leur domicile d’Antibes (Alpes-Maritimes), lorsqu’ils apprennent la tuerie sur la promenade des Anglais. Ils se précipitent dans un hôpital de Nice pour y obtenir des certificats médicaux attestant de leur prétendu choc psychologique. "C’est l’un des éléments les plus pénibles de ce dossier", s’offusque Roland Rodriguez, qui a représenté le FGTI dans cette affaire.

Non seulement ils ont fraudé, mais en plus ils ont encombré les urgences qui prenaient en charge de véritables victimes.

Roland Rodriguez
à franceinfo

"Si on a des remords réels, on passe à table"

Le couple dépose une deuxième demande d’indemnisation, ce qui déclenche l’ouverture d’une enquête. Arrêtés le 7 décembre 2016, ils nient dans un premier temps toute fraude. Ils n’avouent les faits que le lendemain, lors de leur procès en comparution immédiate devant le tribunal de grande instance de Cannes (Alpes-Maritimes). L’avocat des prévenus met en avant leur détresse financière, sans parvenir à convaincre le juge. Confondus par la géolocalisation de leurs portables, Sasa Damjanovic et Vera Vasic écopent de peines exemplaires de six ans et trois ans d’emprisonnement.

Les Antibois continuent de clamer qu’ils étaient bien présents lors de l’attentat de Nice. Alors qu’un second procès pour tentative d’escroquerie s’ouvre, Jean-Pierre Andréani affirme que Sasa Damjanovic souffre de troubles bipolaires. Faute de preuves, l’expertise psychiatrique est refusée. Le couple est à nouveau condamné à six et quatre ans de prison, une peine depuis ramenée à cinq ans de réclusion. Pour la première fois, Vera Vasic et Sasa Damjanovic font preuve de remords face au tribunal. "Si on a des remords réels, on passe à table tout de suite, proteste l’avocat du FGTI, Roland Rodriguez, doutant de la sincérité des Antibois. Les aveux sont venus par tranches, au fur à mesure que l’enquête avançait : ils ne pouvaient plus nier les faits."

De faux témoignages auprès des associations

L’appât du gain n’est pas la seule motivation des "fausses victimes". Lors d’un conseil municipal à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), vendredi 30 juin, Sophie Fessard prend la parole. "Je suis une rescapée de l’attentat de Nice. J’ai perdu ma famille, mes amis, déclare-t-elle. Avant, j’étais normale. Maintenant, je suis paralysée des membres inférieurs. Si les policiers municipaux avaient été armés à Nice, le terroriste ne m’aurait pas roulé dessus." Ce témoignage est pourtant totalement faux, selon La Voix du Nord. Dans une autobiographie publiée en 2014, cette Rouennaise se décrit comme une enfant de la Ddass, qui a grandi sans connaître sa famille. La police de Rouen indique qu’elle n’apparaît pas dans le registre national des victimes. Contactée par franceinfo, Sophie Fessard n’a pas donné suite à nos demandes.

D’autres ont berné les associations de victimes. "Après de tels événements, on était loin de penser que des personnes pouvaient monter de faux témoignages", soupire Alexis Lebrun, porte-parole de Life for Paris, dans un article du Monde. Une dizaine d’usurpateurs ont tenté d’intégrer le groupe Facebook de l’association ou participé à ses apéros thérapeutiques. Un jeune homme affirme devoir sa vie à une femme enceinte "qui a pris les balles qui [lui] étaient destinées", à l’entrée du Bataclan. Mais aucune future mère ne figure parmi les morts de la salle de concert. Une femme dit se remettre d’une blessure à la jambe et témoigne même dans les colonnes du Guardian. Lorsqu’un membre de Life for Paris tente de se rendre à l’hôpital où elle dit avoir été opérée, il ne trouve aucune patiente portant le même nom.

"Certaines personnes veulent attirer l’attention"

Lorsque nous les avons mises devant le fait accompli, les personnes n’ont pas cherché à nier, elles sont parties d’elles-mêmes.

Alexis Lebrun
dans "Le Monde"

Les affabulateurs sont dénoncés sur la page Facebook de l’association. Face à l’aberration et la colère des véritables victimes, ils suppriment leur compte. "Certaines de ces personnes veulent attirer l’attention de la collectivité, explique Dominique Szepielak, responsable du pôle psychologie de l’Association des victimes du terrorisme, à franceinfo. Cela peut s’expliquer par un besoin de reconnaissance, une faille narcissique." Selon le psychologue, d’autres usurpateurs se trouvent "dans un délire psychotique et se croient victimes d’un attentat".

Délire psychotique, appât du gain, tentative d’attirer l’attention des médias… Quelles que soient les motivations de ces "fausses victimes", le procédé est "dégueulasse", dénonce Georges Salines. "Les victimes authentiques doivent batailler pour prouver qu’elles étaient présentes sur les lieux,souligne le président de l’association Fraternité et vérité, interrogé par franceinfo. A cause de ces usurpateurs, elles font face à une suspicion supplémentaire." Roland Rodriguez, avocat du FGTI, évoque lui un "véritable écœurement" face à ces escroqueries. "Ces personnes volent l’argent qui revient à des blessés, aux proches de personnes assassinées. Ils trahissent notre système de solidarité, martèle-t-il. Ils sont venus dépouiller les victimes. Et c’est absolument révoltant."

Date : 25/07/2017
Auteur : Louise Bugier, Victor Faubert, Marie-Violette Bernard
Source : France info

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