Concerts de Médine au Bataclan : des victimes de l’attentat dénoncent une récupération politique, d’autres demandent l’annulation

Si certaines victimes du 13-Novembre refusent d’alimenter le débat, d’autres ont déjà saisi la préfecture de police de Paris pour interdire les concerts.

Liberté d’expression ou manque de respect à l’égard des victimes du terrorisme ? Les associations de victimes du 13-Novembre prennent la parole, ce lundi 11 juin, pour réagir à la polémique, initiée par l’extrême droite puis infusée dans toute la classe politique, au sujet de la venue du rappeur Médine au Bataclan en octobre.

La programmation du chanteur dans la salle où 90 personnes ont perdu la vie après l’attaque du 13 novembre 2015 suscite depuis dimanche une controverse : plusieurs personnalités de droite et d’extrême droite comme Laurent Wauquiez ou Marine Le Pen ont protesté contre les concerts prévus les 19 et 20 octobre, reprochant à Médine certaines chansons comme "Don’t Laïk", sorti en 2015, ou "Jihad", son album de 2005.

Du côté des victimes, les réactions sont plus partagées. Pour certaines, comme l’association "Life for Paris", qui regroupe plus de 700 victimes, le Bataclan est "complètement libre de sa programmation". "Notre association n’est pas un organe de censure, elle est et restera apolitique et ne laissera personne instrumentaliser la mémoire des victimes des attentats à des fins politiciennes, comme c’est le cas dans cette affaire", écrit l’association dans un communiqué publié lundi.

Contacté par l’AFP, le président de "Life for Paris" Arthur Dénouveaux a par ailleurs indiqué que sur les pages de discussions internes à l’association (notamment sur Facebook), "il n’y a pas ou peu de discussion, de commentaire ou d’émotion" autour des concerts programmés du rappeur.

Les victimes dénoncent la récupération politique

D’autres victimes des attentats se sont exprimées à titre privé sur Twitter, non pour demander ou refuser l’annulation des concerts, mais pour dénoncer une récupération politique de cette affaire. L’ancien vice-président de l’association de victimes "13 onze 15", Emmanuel Domenach, a par exemple twitté à l’adresse de Marine Le Pen : "C’est fou comme vous vous souvenez des victimes de terrorisme pour vos polémiques stériles".

Georges Salines, membre fondateur de "13 onze 15", qui a perdu sa fille au Bataclan, fait valoir la liberté d’expression dans ce lieu qu’il a voulu voir revivre après le drame. "Quant au respect dû à ceux qui sont morts au Bataclan, certains spectacles qui s’y donnent (je pense à certains one man shows humoristiques) pourraient faire poser la question, mais j’assume le fait d’avoir souhaité que la salle rouvre et que la vie revienne en ce lieu", a-t-il écrit.

"Pas de censure, pas d’amalgame, mais un peu d’esprit critique, plutôt que les postures et les récupérations politiques, quel que soit le camp", a réclamé pour sa part Christophe Naudin, survivant du Bataclan. "Je pense personnellement que Médine a parfaitement le droit de jouer au Bataclan", a-t-il estimé, précisant ne pas "prétendre parler au nom de tous les autres".

Les réactions ne sont effectivement pas unanimes du côté des victimes. Philippe Duperron, président de "13 onze 15", qui regroupe 350 adhérents, a indiqué aux Inrocks s’être "rapproché de la direction des programmes du Bataclan, non pas pour demander l’annulation des concerts avec force, mais pour faire part de notre émotion". S’il dénonce également "la récupération systématique des victimes à des fins politiques", il voit dans cette programmation "au minimum une maladresse".

"Même s’il y a plusieurs degrés de lecture possibles dans ses chansons, dans l’esprit des victimes, le lien entre le lieu et le personnage tel qu’il nous apparaît pose problème. Si la programmation est supprimée, ça ne nous sera pas désagréable", a-t-il indiqué.

Des avocats de victimes demandent l’annulation

Certains avocats de victimes du 13-Novembre sont même passés à la vitesse supérieure. Dans un courrier adressé au préfet de police de Paris et que l’AFP a pu consulter, Me Samia Maktouf, qui défend une vingtaine de victimes, réclame "l’interdiction des concerts de Médine pour risque de trouble à l’ordre public, ainsi que pour atteinte à la mémoire des victimes, au respect dû aux survivants, et aux droits des familles des défunts".

Le document dénonce le "caractère délibérément provocateur" des concerts, "au vu du discours tenu par Médine dans ses chansons et, plus encore, de l’endroit où ces concerts doivent avoir lieu". Il évoque des "propos appelant explicitement à la haine, voire au meurtre" et la pochette de l’album Jihad, où le J du mot Jihad avait été remplacé par un cimeterre, "créant la confusion entre l’effort religieux sur soi-même évoqué par le rappeur et les décapitations commises et diffusées en vidéo sur les réseaux sociaux" par l’EI.

Les opposants à la venue du rappeur citent notamment un passage de la chanson "Don’t Laïk" : "Crucifions les laïcards comme à Golgotha". Ce titre, dans lequel le rappeur havrais d’origine algérienne disait également mettre "des fatwas sur la tête des cons", avait fait polémique en janvier 2015. Il était paru une semaine avant l’attentat jihadiste contre Charlie Hebdo. "’Don’t Laïk’ est aux fondamentalismes laïques ce que les caricatures de Charlie Hebdo sont aux fondamentalismes religieux", s’était défendu Médine plus tard dans une tribune publiée dans L’Obs.

J’ai toujours utilisé la provocation comme un ’piège positif’. L’idée est d’amener les gens par la provocation" Médine

L’an dernier, lors d’un séminaire consacré au rap à l’École normale supérieure, il avait toutefois reconnu avoir "eu la sensation d’être allé trop loin" avec cette chanson. "La provocation n’a d’utilité que quand elle suscite un débat, pas quand elle déclenche un rideau de fer", avait-il dit, selon des propos rapportés par Les Inrocks. "J’ai toujours utilisé la provocation comme un ’piège positif’. L’idée est d’amener les gens par la provocation", assumait-il en 2015 auprès du magazine.

Dans une tribune publiée sur Le Figaro ce lundi, deux autres avocats des familles de victime réclament l’annulation des concerts. "Comment a-t-on seulement pu envisager d’offrir la salle du Bataclan, marquée à tout jamais par l’infamie du terrorisme islamiste, à un homme qui chante ’Taliban et banlieue donne talibanlieusard’, ’à la journée de la femme, j’porte un burquini ; islamo racaille c’est l’appel du muezzin’ ou encore ’crucifions les laïcards comme à Golgotha’ ?", écrivent Maitres Caroline Wassermann et Bernard Benaïem.

Source : Huffpost
Auteur : Claire Digiacomi
Date : 11/06/2018

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