Indemnisation des victimes de terrorisme : « l’État est à côté de la plaque »

Jusqu’à 30.000 euros seront versés pour le préjudice « d’angoisse de mort imminente » et entre 2000 et 5000 euros pour celui « d’attente et d’inquiétude ». Des mesures qui provoquent la colère et l’insatisfaction générale des avocats des victimes .

L’épineuse question de l’indemnisation des victimes de terrorisme est à nouveau sur la table. Le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) a annoncé lundi la reconnaissance de deux nouveaux préjudices. Celui « d’angoisse de mort imminente » et celui « d’attente et d’inquiétude » pour les proches des victimes. Jusqu’à 30.000 euros pourront être versés dans le premier cas, entre 2000 et 5000 euros pour le second.

Ils s’ajoutent à une indemnisation déjà existante pour les victimes de terrorisme, intitulée « préjudice exceptionnel spécifique », d’un montant de 30.000 euros également versé par le FGTI, service public de versement des indemnités des victimes. Mais loin d’être satisfaits, les avocats des victimes montent au créneau en dénonçant des mesures en trompe l’œil.

La non-reconnaissance du préjudice situationnel

D’après le directeur général du Fonds, Julien Rencki, la création du « préjudice d’angoisse de mort imminente » vise à « prendre en compte l’angoisse intense des victimes qui ont vu venir la mort ». Déjà utilisé pour les catastrophes collectives, il sera compris entre 5000 et 30.000 euros et établi par un expert médical indépendant.

D’après Gérard Chemla, avocat de victimes du 13 novembre et de Nice, c’est une somme en « trompe l’œil » et pointe du doigt un « effet d’annonce ». Il explique au Figaro que 30.000 euros, c’est « le maximum qui peut être versé, seulement pour les victimes décédées ». La somme est alors transmise aux héritiers. Pour les survivants, le montant varie en fonction du préjudice subi, qu’il soit physique ou psychologique.

En comparaison, lors de la catastrophe d’Allinges en 2008, où sept adolescents avaient perdu la vie dans une collision entre un car et un TER, chaque enfant avait reçu 50.000 euros. Contacté par téléphone, Julien Rencki justifie la décision du conseil d’administration du Fonds : « Aucun montant ne sera jamais à la hauteur des souffrances des victimes. Le conseil d’administration a souhaité avant tout améliorer l’indemnisation des victimes les plus touchées, celles qui sont décédées et leurs proches, ainsi que les blessés. » Avant d’ajouter : « il s’agit d’une avancée importante pour les victimes, qui s’ajoute au préjudice exceptionnel spécifique qui existe déjà. »

Le magistrat critique aussi la perte du « préjudice situationnel » : « Jusqu’à maintenant, la présence sur le lieu du drame suffisait à toucher une indemnité. Désormais, il faudra attester par des données médico-légales qu’il existe des séquelles d’angoisse, comparables à un trouble post-traumatique. »

Le Fonds a par ailleurs décidé de modifier les modalités d’une indemnisation existante : le « préjudice exceptionnel spécifique aux victimes du terrorisme » (PESVT) qui ne concernera dans le futur que les victimes directes des attentats. Une annonce qui ne recueille pas davantage de consentements du côté des victimes. « Lors de l’attentat du Bardo à Tunis en mars 2015, les personnes présentes dans le musée mais pas à proximité immédiate des terroristes ont été indemnisées. Ce ne sera plus le cas maintenant. » De son côté, le Fonds insiste : « C’est une mesure qui ne concerne pas les dossiers en cours : pour les attentats passés, le PESVT continuera à être versé. »
« C’est même pas de l’aumône, c’est une insulte »

Le second préjudice (« attente et inquiétude ») concerne les proches des victimes décédées : « Le FGTI indemnisera l’attente et l’inquiétude que les proches des personnes décédées ont ressenties. Le conseil d’administration a donné la priorité aux personnes partageant une communauté de vie avec les victimes », précise Julien Rencki. Elles pourront bénéficier d’un versement compris entre 2000 et 5000 euros. Là aussi, ce montant est loin de satisfaire les victimes. D’abord, parce que la somme est jugée minime. « C’est même pas de l’aumône, c’est une insulte », s’insurge maître Gérard Chemla.

Ensuite parce que seuls les proches du premier degré, c’est-à-dire les parents, enfants et conjoints sont concernés. L’avocat donne l’exemple d’une habitante de Nice, qui s’est occupée de son neveu pendant des années. Il est décédé sur la Promenade des Anglais le soir du 14 juillet 2016 et aucune indemnité ne lui sera versée. Ce préjudice ne sera pas non plus accordé aux proches des personnes blessées. Et c’est là que le bât blesse, d’après le magistrat : « Si une personne a eu son conjoint blessé au Bataclan, mais qu’il a survécu, le Fonds estime qu’elle n’a pas à être indemnisée », regrette-t-il.

Chez les magistrats, le ton monte contre le gouvernement. Rappelant le mouvement de solidarité après les attentats de 2015, le représentant des victimes du 13 novembre et de Nice estime que « l’État est à côté de la plaque. » « Il y a une volonté d’approfondir l’indemnisation des victimes les plus gravement touchées et de leurs proches, plutôt que d’élargir le périmètre des personnes indemnisées », tranche de son côté Julien Rencki. Dans la même direction, le ministère de la Justice a salué dans un communiqué une « avancée majeure » qui garantit une « réparation effective et intégrale » aux victimes d’attentats, « en particulier pour celles qui sont les plus gravement atteintes ».

Mais pour l’avocat Gérard Chemla, « ils n’ont rien compris de ce qu’est une victime d’attentat, c’est une faute politique majeure ». Si ses clients le souhaitent, il n’hésitera pas à saisir la justice : « J’espère que les juges, à la différence du Fonds, seront à la hauteur du préjudice considérable qu’ont connu ces victimes. », lance-t-il, amère.

Source : Le Figaro
Date : 26/07/2017
Auteur : Esther Paolini

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