Intervention de l’association Solidarité Saint-Médard PN 11

Le 12 octobre 2011, une collision entre un camion et un TER (Rennes-Saint Malo) s’est produite à 17h17 à la gare de Saint-Médard-sur-Ille, en Ille-et-Vilaine. Cette collision a fait 3 morts et 45 blessés, tous passagers du train.

Le 3 octobre 2017, à l’occasion du lancement des travaux d’un viaduc supprimant ce passage à niveau reconnu comme dangereux, Lionel Labourdette, président de l’association des victimes, a pris la parole pour relayer les problèmes et la colère des victimes.

Nous reproduisons ci-dessous cette prise de parole au nom de l’association "Solidarité Saint Médard PN11, association membre de la FENVAC.


Monsieur le Préfet, M. le Vice-Président de la Région Bretagne, M. le Président du Conseil départemental, M. le Maire, Monsieur le Directeur, Mesdames, Messieurs.

Oui, ce 3 octobre est un grand jour. Nous célébrons le premier coup de pioche d’un projet d’infrastructure majeur qui apporte une solution efficace et durable à ce maudit PN11. Maudit, tel est le bon qualificatif tant ce PN s’est rendu tristement célèbre avec ses statistiques effroyables et inégalées en France : 4 morts, plus d’une centaine de blessés plus ou moins gravement touchés et combien d’autres qui vivent aujourd’hui avec des images atroces gravées dans leur esprit. Trop de vies brisées, de familles ravagées, de destins personnels et professionnels bouleversés.

Aujourd’hui, c’est en effet pour les victimes et leur famille, un grand soulagement. Ce point presse ne doit cependant pas se transformer en cérémonie de félicitations croisées, de moment d’autosatisfaction ostentatoire, d’expression d’un sentiment de bon travail accompli. Non, l’heure est plus que jamais à l’humilité, je dirai même à la honte de ne pas avoir agi plus tôt. Dans une semaine, nous célèbrerons le 6ième anniversaire de la tragédie du 12/10/2011. Chacun viendra afficher une compassion vis-à-vis des victimes. Pourquoi donc une telle compassion tant cette dernière est restée, depuis 6 ans, sans grands lendemains ?

Sans le combat acharné de notre association, ce projet de viaduc serait encore dans les cartons, ou plus certainement sous une pile de dossiers jugés bien plus prioritaires.
Nous n’avons pas ménagé nos efforts mais combien de suggestions en matière de sécurité ferroviaire, combien de requêtes, combien de questions sont-elles restées sans réponses ou ignorées ? Je peux vous l’affirmer : la quasi-intégralité.

Il nous aura fallu mettre les acteurs devant leurs responsabilités, et tout particulièrement M. le Préfet Strozda, pour que les choses bougent enfin. Les choses ont alors bougé, en effet, mais pas dans la direction que nous imaginions. La décision initiale et… absurde, je n’ai pas peur des mots, de fermer le PN11 sans alternative routière ne pouvait être acceptable tant les risques collatéraux étaient grands pour la population des communes du val d’Ille.

Dans un chaos où chacun se renvoyait la balle, une voix s’est élevée. Je tiens à remercier tout particulièrement M. Chenut, Président du Conseil départemental, qui s’est engagé pour ce projet de viaduc. Ce fut un moment clé. A notre grand soulagement, cette initiative fut retenue par M. le Préfet Strozda.

Je tiens néanmoins à rappeler à toutes et tous que les délais de réalisation de ce viaduc ne sont en rien exceptionnels. La mise en service, 10 ans après le dernier drame, soyons clairs, n’est pas un exploit en soi. A titre d’exemple, 2 PN ont été supprimés suite à la construction d’un pont routier sur la commune d’Allinges en Haute Savoie, théâtre d’un drame qui a vu le décès de 7 enfants et des dizaines d’autres blessés dans la collision en juin 2008 d’un TER avec un bus scolaire. Ce chantier fut rapidement lancé et l’infrastructure routière mise en service 7 ans après le drame, en dépit d’un budget bien supérieur à celui de St Médard.

Je profite aujourd’hui de cette parole offerte aux victimes pour faire part de leur colère. J’évoquais précédemment l’absence de lendemains. Trop de questions sur la sécurisation du PN11 sont en effet restées sans réponses :

• Pourquoi SNCF Réseau refuse-t-il d’installer ou de tester un radar détecteur de masse comme ce fut le cas, avec succès, en région Rhône-Alpes ? Cette idée, pourtant soutenue à l’époque par la Ministre Mme Ségolène Royal, n’a pas été mise en œuvre. SNCF, sondé sur la faisabilité, a rendu sans surprise un avis négatif. Comment un ministère de tutelle peut-il s’appuyer sur l’avis unique de l’entreprise concernée, qui de fait est en position de juge et partie ? Cette délégation de compétences a montré ses limites dans l’accident d’Eckwersheim. En effet, qui mieux que SNCF peut mener des essais de TGV en survitesse ? Demandez aux victimes et familles des 13 personnes décédées dans ce drame. Qui mieux que SNCF établit l’état de son réseau et définit les actions de maintenance ? Demandez aux victimes et familles des 4 personnes décédées dans l’accident de Brétigny.

• Pourquoi la Région Bretagne, qui délègue l’exploitation des TER à SNCF, n’apporte-t-elle pas plus d’importance à ce type de radar ? Pourquoi la Région Bretagne n’est-elle pas plus exigeante vis-à-vis de son prestataire et ne lui impose pas ce type d’équipement ? M. La Hellec, quelles réponses avez-vous apporté à nos suggestions ?

Vous avez, de façon collégiale, refusé d’appliquer le principe de précaution en réduisant, par exemple, la vitesse des trains au PN11. Demain, la semaine prochaine et d’ici la mise en service du viaduc, qu’irez-vous dire et expliquer aux victimes d’une nouvelle et possible collision au PN11 ? Quelle compassion oserez-vous afficher ? Les responsabilités futures aujourd’hui sont clairement établies. Nous sommes tous d’accord : le non-respect du code de la route n’est pas négociable. La gestion et l’anticipation d’un risque, clairement identifié, n’est pas non plus négociable. C’est l’affaire de vous tous, décideurs et acteurs.

Puisque j’évoque le sujet sensible des responsabilités, je me dois d’exprimer l’exaspération et la colère des victimes quant au fonctionnement de la Justice. Nous, victimes et familles, attendons notre Procès avec impatience. Il s’agit une étape majeure dans la reconstruction, dans la résilience des victimes. Il s’agit également de clore enfin plusieurs dossiers d’indemnisation qu’un Assureur peu scrupuleux traîne à instruire, 6 ans après l’accident. C’est aussi cela, mesdames et messieurs, le quotidien et le combat d’une victime.

Nous avons été choqués de lire que M. le Procureur de la République s’exprimait auprès de journalistes alors qu’il n’a jamais parlé aux victimes, qu’il n’a jamais répondu à nos courriers et qu’il se soustrait à ses obligations de rassembler et d’informer les Parties Civiles sur l’instruction du dossier.
La Justice se lamente de son manque de moyens. Elle devrait avant tout se questionner sur son fonctionnement. Les mutations répétées des magistrats en charge de dossiers comme le nôtre, au-delà de la perte de temps pour les successeurs pour apprendre, pour comprendre, pour maîtriser des dossiers complexes, ajoute un risque majeur : celui de l’oubli de détails clés. Les victimes ont besoin d’une Justice forte, d’une Justice qui établisse les responsabilités et qui condamne les coupables. Ce n’est qu’à ce prix que nous verrons émerger de nouveaux paradigmes dans la gestion de la sécurité. Ceci dans l’intérêt de tous : de nous victimes, de la société civile en général, de vous. Chacun a été ou sera un jour passager d’un TER, d’un TGV.

Je vous prie d’excuser cette longue intervention mais elle nous semblait nécessaire. Je vous laisse désormais la parole pour parler du futur, de ce beau projet de viaduc.

Merci.

Lionel Labourdette


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