PROCES DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 2015 I J14 : ENTRE COLERE ET RESILIENCE, LES VICTIMES ET LES FAMILLES DE VICTIMES DE L’ATTAQUE DU CARILLON ONT DECRIT LEURS DIFFICULTES DEPUIS QUE LE TERRORISME A FAUCHE LEURS VIES.

Il est 12h50 lorsque l’audience reprend en ce 14ème jour de procès.

Le Président annonce que quelques personnes victimes des explosions au Stade de France doivent encore déposer ce jour.

Les premières personnes qui témoignent sont des femmes et des hommes, qui dinaient à proximité du Stade de France en terrasse. Tous parlent d’une explosion qui retentit, d’un souffle par la suite. Certains étaient à peine à trois mètres de l’explosion. Tous subiront des impacts tant physiques que psychologiques, des blessures dans les bras et les jambes nécessitant de lourds traitements.

Puis vient à la barre un homme, accompagné de sa femme en fauteuil roulant. Cette dernière a perdu l’usage de la parole depuis les attentats.

Au moment des explosions, elle reçoit des éclats de l’explosion dans tout le corps, ainsi que dans le côté gauche du cerveau. Elle fait un AVC suite à sa réanimation et l’équipe médicale décide de la plonger dans le coma durant 4 mois, sans quoi elle ne pourrait pas supporter les douleurs. Par la suite, lorsqu’il se rend à l’hôpital au sortir du coma de sa compagne, les médecins le préviennent. C’est un légume désormais, elle ne pourra plus jamais marcher de sa vie. Aujourd’hui Madame a le côté droit du corps paralysé mais elle est sortie de l’hôpital. Il parle de leur projet familial avorté à cause de cet attentat et est très ému à ce moment-là. Madame a eu des enfants issus d’une précédente union. Mais à cause de l’explosion et des blessures occasionnées sur le corps de Madame, elle ne pourra jamais en avoir avec l’homme qui témoigne ce jour devant la Cour.

Il envie ceux qui ont des enfants derrières eux, et qui continuent de se battre aujourd’hui. « Moi je n’ai personne. Je ne pourrai plus en avoir (NDLR : des enfants). J’ai une double peine. Les autres victimes, elles, ont une vie de famille ». Aujourd’hui, sa femme a toute la partie gauche du cerveau endommagée (là où se trouvent la conscience, la mémoire), elle a une perte d’audition. Son bras droit est paralysé. Elle a perdu la parole. Tout au long de sa déposition, il répète « aujourd’hui vous la voyez, mais c’est une enfant de 5 ans pour beaucoup de choses »

Ce dernier témoignage clôt les dépositions des victimes du stade de France.

Le Président appelle à la barre le premier témoin, un survivant de l’attaque, du Carillon.

F. a 30 ans, il est avocat. Le 13 novembre 2015, il est encore étudiant en droit. Il annonce d’emblée qu’il est content de pouvoir déposer ce jour, et qu’il est un peu ému car c’est un sujet qui l’affecte encore beaucoup. C’est une expérience qu’il considère comme l’isolant beaucoup, très difficile à décrire. « On rencontre la mort, on la voit, on la sent ».

A l’évocation de la déflagration, il s’arrête un instant, ému. Il insiste sur le bruit des armes automatiques, les rafales de tirs. Il n’a jamais entendu quelque chose d’aussi bruyant, c’est un bruit continu, durant deux minutes. Il s’est demandé ce que ça allait lui faire comme douleur, car pour lui, c’était évident, il allait se prendre une balle.

Un autre choc pour lui, c’est lorsque l’assaillant s’arrête, ne tire plus, avant de reprendre par des tirs saccadés cette fois. Il ressent alors un sentiment profond d’impuissance.

Il se souvient n’avoir aperçu que la silhouette du tireur, et s’est précipitamment caché derrière un objet de grosse taille.

Une deuxième victime du Carillon prend ensuite la parole. Il était ce soir là au Carillon avec sa femme et des amis. Après les déflagrations qui ressemblaient à des pétards, il voit une personne tenant une arme longue qui projetait des étincelles. Il court alors vers l’intérieur du bar, dans le sellier, après être tombé plusieurs fois et avoir marché sur des gens.

Le Président lui demande s’il a été blessé physiquement. L’homme répond qu’il est certes indemne sur le plan physique, mais psychologiquement il a été choqué, et a eu des suivis psychologiques et psychiatriques. « Je n’avais pas conscience qu’en France, on pouvait être victime de fusillades alors qu’on n’a rien demandé. On était tranquille. Et soudain on se fait tirer dessus comme du gibier »

La troisième victime du Carillon à venir témoigner, O., s’est pris une balle dans le bras.

Il précise dès le début de son discours qu’il n’est pas là de gaité de cœur, mais qu’il le doit à son ami, S, qui est mort sur la terrasse de sept balles. « On dit souvent des nombres de balles mais il faut savoir ce que ça fait. » Et sans prévenir l’assemblée, il se met à crier « BOOM ; BOOM ; BOOM ; BOOM ; BOOM ; BOOM ; BOOM ». Ses onomatopées raisonnent et remplissent toute la salle silencieuse. « Et ça, ça détruit quelqu’un ».

Il précise ensuite qu’à la morgue, là où il a dû identifier son ami, il a dû attendre quatre jours pour que son corps soit reconstitué et que les trous soient comblés par de la cire. Il lit ensuite un texte qu’il a préparé. Il parle notamment de son voyage en Iran où il travaillait en 2017, et décrit un peuple pratiquant un islam rigoriste mais qui se projette dans le monde avec bienveillance.

Après être revenu sur les faits, il s’adresse par moments de façon alternative à la Cour et à Salah Abdeslam. « M. Abdeslam n’est rien d’autre qu’une racaille qui cherche à manifester son existence en faisant croire qu’il est guerrier. J’ai vu son frère tuer des gamines de 20 ans, des filles qui avaient l’âge de ma sœur. (…) J’aurais mille fois préféré qu’il se fasse péter en se ratant comme son frère, comme ça on aurait tous gagné du temps et il aurait eu le courage de se soustraire au monde auquel il n’apporte rien. »

On sent sa colère, sa rage. En faisant allusion aux propos tenus par Salah Abdeslam quelques jours auparavant en audience, il dit refuser qu’on ouvre la porte du dialogue.

Une avocate de partie civile intervient à la fin de son témoignage, et émet une observation s’agissant du planning des débats. Elle réclame à ce que chaque semaine il y ait un moment où la parole soit donnée aux accusés pour avoir leur réaction face aux dires des différentes parties civiles qui se succèdent à la barre. Le Président répond que l’établissement d’un planning pour ce procès est compliqué. Par ailleurs, il estime que les accusés ont eu la parole, et que l’un des principaux accusés s’est exprimé lui-même.

A ce moment-là, l’avocate de Salah Abdeslam, Me Olivia RONAN, intervient alors que son micro est fermé. Elle crie et conteste. Le Président essaye de reprendre la parole, mais la jeune femme ne s’arrête pas. Un débat houleux s’en suit entre les conseils du principal accusé et le Président. Au bout de quelques instant, ce dernier finit par reprendre la main sur le débat : « Je vous respecte, vous m’avez interrompu et ce n’est pas convenable. Je vous demande de me respecter. (..) A partir du moment où l’un des accusés dit « les terroristes sont mes frères » alors qu’on a projeté des images de gens abattus à coups de kalachnikovs, il ne faut pas s’étonner que des personnes aient des réactions virulentes à la barre. »

Me RONEN rétorque : « Par respect, je ne suis pas intervenue. C’est sûr, il y a de l’émotion, de la souffrance, énormément de choses que je ne veux pas troubler par ma parole. Mais j’ai du mal à laisser passer depuis le début des audiences des invectives personnelles qui troublent la sérénité des débats et je compte sur vous pour ne pas laisser passer. »

L’atmosphère est particulièrement électrique lorsque le Président met fin à l’altercation.

La tension redescend cependant très rapidement lorsqu’un nouveau témoin prononce ses premières phrases d’un calme et d’une douceur contrastant avec les échanges quelques instants plus tôt. Il s’agit d’une jeune femme qui a été grièvement blessée aux jambes à la terrasse du Carillon. Elle était ce soir là avec un groupe d’amis et son époux, « son premier amour », « l’homme de sa vie ». « Nous étions cinq, nous ne sommes plus que deux. (…) et je suis seule ce soir à la barre ». Le visage rouge, très émue, en larmes par moment, elle raconte comment elle a cherché du regard son amoureux et finit par le découvrir étendu au sol, les yeux ouverts. « Je sais qu’il n’est plus là ». A ce moment-là encore, elle ne voit pas les 22 impacts sur le corps de son défunt époux.

Plus tard, elle évoque son combat, comment elle réussit désormais à être debout sans béquille. « Ce qui m’a fait tenir ce sont les jambes qui m’ont obligée à me battre. Il fallait que je marche, j’avais 27 ans, encore toute ma vie à vivre. »

Sa mère vient également témoigner à la barre, dans un premier temps au nom de la mère de son ancien gendre décédé qui n’a pas pu venir à l’audience et qui a rédigé une lettre pour la Cour, puis en son nom propre. Elle veut revenir sur l’attente interminable dans les heures qui ont suivi l’attaque et sur la difficulté de accompagnement quotidien qu’elle a du apporter à sa fille suite aux attentats.

Une autre personne vient témoigner. C’est une jeune femme qui était interne à l’époque des faits. Sur un ton très rapide, l’ancienne étudiante raconte comment avec ses collègues ils ont porté secours aux victimes. Même si elle minimise l’impact de cet évènement sur elle, l’une des magistrates souligne qu’elle a eu une ITT de plus de 90 jours à l’époque, preuve du retentissement psychologique sur elle.

Il est aux alentours de 19h30 lorsque le Président décide de suspendre l’audience pour quelques minutes avant de finir avec les derniers témoignages de la journée.

Un homme de 43 ans s’avance. Il se présente comme étant un ancien alcoolique qui sortait d’une cure de sevrage à l’époque. Il n’a pas été touché physiquement par les tirs car il n’était plus dans l’enceinte du bar lors de l’attaque. Il a été informé par un jeune de l’attaque, est retourné au Carillon, mais s’est rapidement senti impuissant face aux corps. Très ému, le visage rougit, sa voix change, se brise « J’ai commencé à voir les gens morts. Le temps s’est dilaté, comme si ça durait un quart d’heures, mais ça n’a duré que quelques minutes. J’ai évité de porter secours aux blessés car je ne connais pas les premiers secours, et je sais qu’il ne faut pas en faire si on ne sait pas comment faire. Faire un massage à quelqu’un qui se vide de son sang, ce n’est pas une bonne idée. ». Suite à cet évènement, il rechute pendant un an et demi.« Ça a gâché ma vie, sociale, personnelle, amoureuse, professionnelle. »

Malgré tout, il finit sur une note pleine d’espoir. Quand son avocat lui demande de dire ce qu’il attend de ce procès, il dit espérer que ça aide les accusés à prendre conscience. « Je ne sais pas s’ils vont être condamnés, où ils partiront, mais tous les témoignages qu’ils entendent, ils vont les emporter avec eux. Ce sont des êtres humains, quoi qu’ils aient fait. Ça va les faire réfléchir, cogiter. »

Un homme devait prendre la parole, il travaille encore au Carillon mais ce jour, il ne s’en sent plus capable. C’est son cousin qui prend la parole à sa place. Il travaillait dans le bar ce soir là. La vision des corps qui jonchaient le sol l’a profondément traumatisé.

Durant toute sa déposition, il s’adresse à la Cour. Parfois, il regarde le box, il parle de la rage qu’il a en lui contre les accusés. Il connaissait, pour beaucoup, des victimes de ce soir-là, dont la jeune fille qui a perdu notamment son époux et qui a témoigné quelques minutes auparavant. Il n’a pas été blessé physiquement, mais il est suivi sur le plan psychologique. Il fait très souvent des cauchemars depuis, dont un redondant, dans lequel son père lui tire dessus avec une kalachnikov.

La soirée s’achève avec un dernier témoignage, celui d’une femme de 39 ans, enceinte de 7 mois au moment des faits. Lorsqu’elle entend des bruits de pétard, un de ses amis crie « il a une kalachnikov, jetez-vous par terre !! ». Elle s’est cachée au sol, tandis qu’elle entendait les tirs vers la baie vitrée et des cris. Une de ses amies souffle « il faut faire attention à X (NDLR : le prénom de celle qui témoigne), elle a un bébé ». La jeune femme est touchée par cette attention. Les tirs reprennent, elle pense à son conjoint qui est devant la porte. Elle pense à son bébé, envisage qu’elle se retrouvera seule avec lui. Elle réussit finalement à échapper aux tirs, tout comme le père de son enfant.

Le Président l’interroge sur son suivi psychologique. Elle admet avoir vu un psychologue après les faits, qui lui aurait dit qu’elle était capable de gérer la situation avec le passé qu’elle avait. Le président semble surpris face à cette déclaration. Elle poursuit en expliquant qu’elle n’en a plus revu jusqu’à récemment, lorsqu’elle s’est constituée partie civile et qu’elle a vu à cette occasion un psychiatre. Tout est remonté à ce moment-là.

L’audience est levée peu avant 21h.

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