PROCÈS DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 2015 I J15 : LES VICTIMES DES ATTENTATS « DES TERRASSES » RACONTENT LEUR DOULEUR, SALAH ABDESLAM LEGITIME LES ATTAQUES

Le 30 septembre 2021, pour cette 16ème journée du procès des attentats du 13 novembre 2015, sont entendues quinze victimes des attaques perpétrées devant le Petit Cambodge, la Bonne Bière, et la Belle Équipe. L’audience reprend à 13h03.

Quinze témoignages pour raconter cette soirée funeste ; pour décrire la rupture brutale survenue dans « la vie d’avant » et dire la difficile reconstruction rythmée par le traumatisme, la culpabilité, l’incompréhension, la souffrance mais aussi l’espoir.

Nous vous proposons de revenir en détail sur les récits des trois premières victimes entendues par la Cour.

C’est par un témoignage conjoint que s’ouvre ces auditions. Al.B., à l’époque âgée de 23 ans, se trouvait devant le Petit Cambodge avec son frère Ar.B, âgé de 26 ans au moment des faits, ainsi que trois amis. Sans avoir même pu rentrer dans le restaurant en raison de l’affluence, et alors qu’ils s’éloignaient de celui-ci, ils ont essuyé des tirs. Al.B est alors sauvée par son frère qui, de par ses réflexes, son aptitude à l’analyse rapide, et ses capacités physiques développées en tant que rugbyman professionnel, a le temps de la plaquer au sol, alors que celle-ci n’avait pas fini de se retourner pour déterminer l’origine de ce qu’elle pensait encore être des pétards. Il fera « bouclier » et prendra deux balles en lieu et place de sa sœur. Sonnée, celle-ci se fait réveiller par les gémissements d’agonis poussés par les victimes l’entourant. Elle se rend alors compte qu’elle est touchée par une balle dans le bras gauche, et que son frère Ar.B est encore plus gravement atteint, au point de ne pas répondre à ses cris. Ar.B explique d’ailleurs à la Cour que ce sont les stimulations sensitives et orales de sa sœur qui lui ont permis alors de ne pas sombrer, mais bien de le tenir en vie.

Al.B. explique au Président qu’elle n’a pu reprendre que partiellement son activité de voltigeuse dans le milieu du cirque professionnel (technique « main à main » apprise au sein d’une école professionnelle) alors que sa carrière était lancée au moment de l’attentat (elle était repérée par des professionnels du secteur et avait plusieurs tournées programmées sur plusieurs mois, voire années). Sur conseil de son avocat Me Bibal, elle explique à la Cour que son travail de base consiste à prendre appui, en force, sur ses bras, et à être portée de la sorte par un ou des porteurs. Cela dit, depuis l’attentat, être en appui sur les bras lui est impossible en raison de la fragilité de son bras et aux atteintes des tendons subséquentes à la balle qu’elle a reçue, si bien qu’après deux ans de rééducation, elle a également dû adapter ses techniques pour faire des appuis non pas sur les bras, mais sur les jambes.

Ce combat pour renouer avec la vie d’avant est partagé par son frère. Malgré avoir été touché par trois balles de kalachnikov, ce dernier a essayé de reprendre le rugby professionnel au plus haut niveau. Toutefois, celui qui vit maintenant de l’écriture et de la photographie a dû abandonner définitivement ce sport en raison de douleurs inhumaines l’ayant conduit à être par le passé à l’hôpital psychiatrique de Saint Anne. Les médecins étaient incrédules quant au fait qu’il ait déjà pu revenir quelques mois sur les terrains. Il explique qu’au moment de l’attentat, il était à un virage dans sa carrière, à un point culminant, et qu’il était sur le point d’être essayé par l’équipe nationale d’Italie.

Le frère et la sœur auront livré à la Cour un témoignage lumineux, plein d’espoir et d’humanité. Ils n’en veulent à personne, et se battent pour un quotidien heureux et pour une société multiculturelle : « Je ne ressens aucun désir de justice individuelle, je ne ressens aucun besoin de réparation, puisque j’ai pris cet évènement comme une étape à franchir, comme une marche à surpasser, comme un combat à mener, jamais contre une personne, ni contre un groupe de personnes, ni contre une idéologie, mais je l’ai pris comme un combat contre moi-même. J’ai préféré laisser ça de côté et me concentrer sur ce que je pouvais changer. Ca a été ma grande cause avec ma sœur, mettre notre énergie dans ce qu’on pouvait changer. »
Ils disent être chanceux de vivre.

S’en suit le témoignage de M. R, qui allait fêter le 14 novembre 2015 ses 40 ans et qui se trouvait le soir du 13 novembre avec son frère et sa meilleure amie au Petit Cambodge. Sa compagne était en retard. Entendant des tirs, il a décidé de se coucher au sol, trouvant ça dans le même temps « un peu idiot ». Il est sorti d’une « sorte de rêverie » par les cris de son amie touchée par plusieurs balles dans la jambe. Réfugiés dans la cuisine du restaurant, il s’est occupé de son groupe et a téléphoné à sa compagne pour la dissuader de venir et l’inciter à appeler des secours. Au téléphone, il s’est protègé de cet environnement sanglant qui l’entourait. Ces échanges téléphoniques l’ont isolé des bruits des victimes. Il raconte toutefois à la Cour l’ignominie de certains journalistes et autres petits curieux qui ont appelé le restaurant. Il avoue que certaines personnes ont par la suite su qu’il était dans l’attentat en reconnaissant sa voix qui avait été enregistrée à son insu lors de ces appels téléphoniques. Photographe de profession, son avocat, Me Bibal, expliquera pourtant qu’il subit ce dont souffrent beaucoup de victimes, et ce qui est objectivé par les psychiatres, à savoir le changement de point de vue et le désintérêt pour son ancienne profession, un blocage que certaines victimes ne s’expliquent pas, et ce a fortiori pour des « métiers passions ».

L’audience se poursuit avec les témoignages de douze autres victimes, tous aussi prenants qui nous replongent dans cette soirée d’horreurs qui a bouleversé des vies à jamais. Parmi ces victimes qui témoignent, de nombreuses personnes revendiquent être de confession musulmane. Elles indiquent à la Cour et aux accusés qu’elles ne reconnaissent pas cet islam violent, et qu’au contraire, « leur islam » n’est qu’amour et respect mutuel.

Ces propos d’ouverture, de tolérance et de bienvellance feront réagir le principal accusé, Salah Abdeslam. Il tient à s’exprimer.

*Salah ABDESLAM parle*
Le Président : « Je ne suis pas sûr que votre intervention soit de nature moins provocatrice que ce que j’ai entendu jusqu’à présent, je l’espère vraiment ! Vous avez entendu ce que je vous ai dit ? Que je ne sois pas obligé de vous couper le micro ! »

Salah Abdeslam : « Ce n’est pas provocateur, je suis pas là pour répondre à ces provocations. Comment ? Je vais aller droit au but car les victimes qui se sont exprimées à l’instant se sont revendiquées de l’islam. Mais, je le dis encore, c’est pas pour revendiquer mais nous visons les mécréants. Si nous avons touché des musulmans, ce n’était pas notre intention. Nous avons voulu viser les mécréants car, j’entends bien les victimes s’exprimer, je ne doute pas de leur « bonne personne », qu’elles ont des bonnes qualités etc. le micro est coupé là ! »

Le Président : « Non, il n’est pas coupé. »

Salah Abdeslam : « Nous musulmans, on a été touchés. Des gens en Syrie ou en Irak, qui allaient à la boulangerie, des gens qui n’ont rien demandé ont été touchés par des frappes de la coalition. »

Le Président : « Vous nous l’avez déjà dit. »

Salah Abdeslam : « Je ne vais pas être très long. C’est pour dire à ces deux victimes que nous n’avons pas touché les musulmans, et si c’est le cas et ben c’est un accident de notre part, c’était un accident – attendez, ce que je veux dire par là... »

Partie civile : « Merci pour les non musulmans ! »

Salah Abdeslam : « Juste les mécréants, pas les musulmans ! »

Partie civile : « Vous ne pouvez pas savoir si ce sont des musulmans ou non, des mécréants ou non ! »

Le Président : « Merci mesdames, on a compris. »

L’audience se clôt à 19h30.

Vous pouvez contacter l’équipe de la FENVAC pour obtenir les notes complètes et ainsi obtenir l’entièreté des témoignages de cette journée.

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