Drame d’Allinges : la SNCF et RFF jugés cinq ans après le drame

Le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains a commencé mercredi à examiner les responsabilités respectives du chauffeur de car, de la SNCF et Réseau ferré de France (RFF) dans ce drame qui a coûté la vie à sept collégiens en 2008.

Ils chantent, ricanent avec cette outrance de leur âge. S’égayent devant des vidéos sur leurs portables. La pluie qui s’abat sur les vitres de l’autocar ne gâte pas la joie qu’ils ont tous à se retrouver pour cette sortie pédagogique dans la région, en Haute-Savoie.

Deux classes de 5ème en liesse, sous le regard amusé des profs qui, pour une fois, n’intiment pas le silence. 55 personnes qui vont raconter le soir, au souper familial, les anecdotes d’une après-midi inutile et réjouissante, et entourer la date du 2 juin 2008 sur les cahiers de texte.

« Vite, vite ! », s’alarme d’un coup une petite voix à l’arrière du bus. « Eh, la barrière se baisse ! », alerte une autre. La panique n’a même pas le temps de se propager. Un silence sépulcral tombe dans les rangées, comme un linceul noir. Au passage à niveau, à 13h52, le TER Evian-les-Bains-Genève percute l’arrière du car dans un fracas assourdissant. Sept enfants de 12 à 13 ans meurent, 26 autres sont blessés dont quatre grièvement. Un des accompagnateurs se suicide quelques temps après.

Cinq ans après, le début du procès rouvre les plaies du drame. Au palais de justice de Thonon-les-Bains, les nombreuses parties civiles attendent que la cour correctionnelle établisse enfin les responsabilités. Trois mis en examen comparaissent pour homicide involontaire et blessures involontaires : le conducteur du bus, Jean-Jacques Prost, la SNCF et RFF (Réseau ferré de France). Les deux entreprises publiques ont été mises en examen en janvier 2012, près de quatre ans après les faits, au grand soulagement des familles des victimes qui croient à des « dysfonctionnements et responsabilités partagés ».

Pour les familles des victimes, les responsabilités sont partagées
Si l’instruction de l’affaire a révélé que le conducteur du car avait mis en danger les élèves avec un enchaînement de réactions inappropriées, elle a aussi estimé que RFF et la SNCF avaient insuffisamment tenu compte de la dangerosité du passage à niveau d’Allinges, le n° 68, qui est dans un virage serré et dans une pente. Si celui-ci ne figurait pas sur la liste des 364 passages « préoccupants » au moment de l’accident, il était de l’avis général problématique pour le franchissement des véhicules longs ou lourds. « Pour les voitures ça allait » mais « un car n’avait pas sa place sur cette route », indiquait en 2010 un agent de la SNCF en charge de la signalisation et des visites de sécurité des installations, à l’époque des faits.

C’est le point majeur qui fera débat dans le procès, puisque toutes les expertises ont montré par ailleurs le respect des procédures et fonctionnements de RFF et de la SNCF : délai de fermeture des barrières, délai de signalisation sonore et visuelle, vitesse du train, etc. Ce manque de dispositions pour les véhicules de gros gabarit, dont la progression est nécessairement plus lente et les manœuvres plus délicates, met en lumière un problème plus général : la dangerosité partout en France des passages à niveau pour ces véhicules particuliers. La question du temps de traversée d’un passage à niveau n’est abordée que pour les convois exceptionnels, par le biais d’un arrêté du 4 mai 2006. Dans l’instruction, un rapport d’expertise mentionne qu’à la suite de cet arrêté, la SNCF a fait parvenir à la préfecture de Haute-Savoie la liste des passages à niveau du département présentant des particularités de franchissement. Le passage n°68 y figure. Le rapport d’enquête administrative du BEA-TT a recommandé de compléter l’arrêté du 18 mars 1991 (article 10) en précisant que le délai d’annonce de fermeture d’un passage à niveau (actuellement fixé à 20 secondes) doit permettre à tout véhicule routier lourd autorisé de franchir le passage avant que la demi-barrière du sens opposé de circulation ne s’abaisse.

Dans son audition sur les délais de fermeture d’un passage à niveau, le président du Conseil général de la Haute-Savoie avait indiqué que tous s’étaient posé la question du franchissement des véhicules lourds mais que la SNCF avait indiqué qu’un rallongement du délai d’annonce des trains « ferait prendre le risque que des personnes s’impatientent et franchissent le passage à niveau après l’annonce du passage d’un train ». La représentante régionale de la SNCF avait en effet indiqué dans son audition qu’« un délai plus long peut inciter les usagers habituels à traverser les voies barrières fermées ».

La SCNF et RFF contestent toute responsabilité

Tout en insistant sur leur respect de la « douleur des victimes », les avocats de la SNCF et de RFF contestent toute responsabilité dans ce « drame épouvantable ». Ils assurent que les deux sociétés ont parfaitement respecté la réglementation en vigueur à l’époque des faits. Et renvoient la balle au Conseil général qui, gestionnaire de la route sur laquelle a eu lieu le drame, avait compétence à interdire la traversée par les poids lourds si danger était manifeste, selon eux. Un temps évoquée, la responsabilité du Conseil général n’a finalement pas été retenue par les juges d’instruction.

« Le passage à niveau était intrinsèquement conforme, a déclaré Me Thierry Dalmasso, avocat de RFF. Le juge nous recherche au-delà de nos obligations ». Estimant que la SNCF et RFF ne pouvait ignorer la problématique des véhicules longs et lourds et la difficulté « géométrique » du passage 68, les juges d’instruction mentionnent que les deux entreprises auraient dû « faire preuve d’une vigilance accrue dans le cadre de leur obligation de prudence et de sécurité ». À défaut de réaliser des « travaux de sécurisation », elles auraient au moins dû « saisir le Conseil général pour lui demander de prendre un arrêté pour interdire l’accès à certains véhicules ».

Le conducteur de bus, lui, aborde le procès accablé. En arrêt maladie pendant trois ans après l’accident, il « s’estime partie prenante de ce drame, il se reconnaît responsable : tout est gravé en lui », a déclaré son avocat, Me Adrien-Charles Dana. Dans ses trois auditions durant l’enquête, le chauffeur a toujours déclaré que la signalisation sonore et visuelle n’avait pas eu lieu. Un point sur lequel les témoignages des passagers du car sont très divergents. Il explique ensuite qu’il n’a pas pu dégager son car, qui s’était immobilisé sur les rails pendant la manœuvre. Aucun élément technique, à l’expertise du car, n’a montré de défaillance mécanique ou d’entretien pouvant causer un accident. L’expertise psychologique et médicale du chauffeur n’a pas non plus avéré de causalité avec les circonstances de l’accident.

Le président de la SNCF, Guillaume Pepy, qui était cité comme témoin, ne se présentera pas devant le tribunal, a déclaré Me Michel Bertin, avocat de l’entreprise ferroviaire, à l’ouverture de l’audience mercredi. Il se manifestera par le biais d’une « déclaration aux victimes », lue par sa directrice régionale Rhône-Alpes Josiane Beaud.

Depuis l’accident, une circulaire ministérielle a invité les services de l’État, des départements et des communes à « affiner leur connaissance de la dangerosité réelle de chaque passage à niveau », afin qu’un tel accident ne se reproduise plus. En 2012, cent collisions ont été recensées en France et 33 personnes ont été tuées sur des passages à niveau, contre 179 collisions et 40 tués en 2002.

Delphine de Mallevoüe, le figaro.fr, le 4 avril 2013


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