EXPLOSION RUE DE TREVISE I LA MAIRIE DE PARIS N’ENVISAGE TOUJOURS PAS DE SIGNER L’ACCORD-CADRE

Rédigé par Isabelle Horlans - Journaliste dans Lextenso, Actu-Juridique.fr
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La Ville de Paris, qui a annoncé le 4 octobre « provisionner 20 millions » pour les victimes de l’explosion rue de Trévise en janvier 2019, ignore encore sous quelle forme elle débloquera les fonds. En l’état, elle refuse le principe de l’accord-cadre facilitant le versement des indemnisations.

Le 4 octobre, l’annonce d’Emmanuel Grégoire, premier adjoint de la maire de Paris Anne Hidalgo, dans Le Parisien a produit l’effet escompté : enfin, la municipalité versera 20 millions d’euros aux victimes de l’explosion rue de Trévise (IXe arrondissement) survenue le 12 janvier 2019 ! Sitôt dit, sitôt fait, à l’en croire, au point que l’emploi d’un conditionnel a paru superflu. Sur les réseaux sociaux, des félicitations ont été adressées aux associations et à Inès, l’une des blessés en phase de reconstruction. Le 24 septembre, la jeune étudiante en droit a subi sa 41e opération chirurgicale (notre article du 15 septembre). Comment ne pas se réjouir, puisqu’il s’agit assurément de la plus spectaculaire avancée depuis 33 mois ?

Toutefois, dès le 5 octobre, certains commençaient à émettre des réserves : « L’ascenseur émotionnel nous oblige à la prudence », confiait ainsi Linda Zaourar, la présidente de Vret*. A raison. Car mercredi 6, le discours tenu à huis clos par Emmanuel Grégoire a refroidi l’espoir de règlement rapide. En l’état, a-t-il expliqué à ses interlocuteurs, il n’est pas question de signer l’accord-cadre validant les dédommagements. Il dément ainsi l’adjoint à la sécurité Nicolas Nordman qui, deux jours auparavant, s’était félicité sur Twitter : « Comme cela a été annoncé en réunion publique le 13 septembre, la Ville de Paris signe un accord-cadre d’indemnisation pour les victimes de l’accident rue de Trévise et débloque 20 millions d’euros avant la fin de l’année. »

« Était-ce un effet d’annonce ? Est-ce qu’on nous balade ? »
Préconisé dès novembre 2020 par deux avocats de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac), entériné par la Direction des Affaires civiles et du Sceau (DACS) de la Chancellerie le 10 septembre dernier, cet accord permettrait aux parties sollicitées de réparer les préjudices avant que la justice ne détermine les responsabilités (notre article du 17 septembre). Arguant d’une atteinte possible à sa présomption d’innocence, la municipalité mise en examen** refusait de le conclure avec GRDF, exploitant de la canalisation de gaz, la société Fayolle chargée des travaux de réfection de la chaussée affaissée, les assureurs et la Délégation interministérielle d’aide aux victimes (DIAV). Une fois dissipée la crainte de la Ville, certaine que l’accord ne vaut pas reconnaissance de culpabilité, il était loisible de conclure que l’annonce de l’adjoint mettait un point final à ses réticences.

« Était-ce un effet d’annonce ? Est-ce qu’on nous balade ? », s’interrogeait pourtant mercredi Linda Zaourar à l’issue de sa réunion avec M. Grégoire, à laquelle assistait notamment une déléguée de la Fenvac. « La Ville n’est pas favorable à l’accord-cadre qui la contraindrait, croit-elle, à indemniser intégralement les victimes. Les bras m’en sont tombés », soupire Linda. En l’état, est privilégiée « la création d’un fonds de solidarité ou d’urgence ». La Fenvac a objecté que « les sommes allouées par le biais de tels fonds ne seront pas remboursées si la collectivité est relaxée au procès », quand un accord-cadre prévoit la rétrocession des avances par le ou les condamnés. Une autre idée a donc été suggérée par M. Grégoire : créer une association qui gérerait les 20 millions. D’ici à ce qu’elle soit constituée et qu’aient été approuvées ses délibérations, les fêtes de fin d’année auront été célébrées.

« On se concentre désormais sur la mise en œuvre »
Le bon sens paysan conclurait que la mairie a probablement mis la charrue avant les bœufs. D’autant que le montant de l’aide doit d’abord être validé par le Conseil de Paris qui se réunit du 12 au 15 octobre, qu’un calendrier et une répartition ne seront fixés par les signataires de l’accord qu’à partir du jour où il sera ratifié. Mais la Ville n’a pas encore contacté la direction de GRDF : « On nous a demandé de l’appeler », révèlent les participants à la réunion, plutôt surpris.

Le bras droit de la maire s’interroge enfin sur les modalités pratiques : quid du versement aux uns et aux autres, en fonction de leur état de santé ? Lui faudra-t-il recruter des experts ? s’est-il inquiété. L’apparition des écueils n’augure pas d’une résolution du dossier « avant la fin 2021 », l’échéance prédite par Emmanuel Grégoire. Néanmoins, il demeure optimiste : « On se concentre désormais sur la mise en œuvre », assure-t-il. Il réfute toute responsabilité dans le retard qu’accuse le volet des dédommagements. Le 5 octobre, sur BFMTV, il a déclaré : « Si quelqu’un a traîné, ce n’est pas la Ville de Paris. » L’accusation à peine voilée contre l’exécutif a étonné ceux qui bataillent depuis bientôt trois ans pour la prise en charge des familles des quatre morts, des 66 blessés et quelque 500 sinistrés. « Il est strictement faux, et malveillant de notre point de vue, de dire que la municipalité ne voulait pas d’accord, argumente M. Grégoire. En octobre 2020, la maire a écrit au Premier ministre pour demander un avis juridique sur le montage à retenir et confirmer l’intérêt à agir d’une collectivité sans reconnaissance de culpabilité. Nous avons eu le retour écrit de la DIAV le 11 septembre, soit onze mois plus tard. » Anne Hidalgo réclamait alors le vote d’une loi, une initiative retoquée par le gouvernement.

Le directeur adjoint du cabinet d’Anne Hidalgo au chevet d’Inès
Ce seraient donc les services de l’Etat, au premier rangs desquels la DIAV et la DACS, qui auraient retardé le déblocage des aides. Et non, comme le soutiennent les avocats des victimes, au fait de la procédure, la volonté de se défausser (nos articles des 28 juin et 12 juillet). Dans le cas de l’explosion d’AZF le 21 septembre 2001 (31 morts et 4 480 blessés), l’accord-cadre fut signé 39 jours après. En l’espace de sept mois, 130 millions furent octroyés aux demandeurs, leur évitant de patienter jusqu’à l’ultime condamnation de l’usine, 18 ans plus tard. Si une collectivité fonctionnant avec des fonds publics a moins de latitudes qu’une entreprise privée, une question reste en suspens : pourquoi la municipalité parisienne a-t-elle écarté en 2020 les conclusions des éminents juristes sollicités par Delphine Bürkli, la maire (LREM) du IXe arrondissement ?

En gage de bonne foi d’Anne Hidalgo, le directeur adjoint de son cabinet, Issam El Abdouli, s’est rendu lundi 4 octobre à l’hôpital où se rétablit Inès. « C’était le Père Noël », résume Dounia, sa mère. « Il va régler le litige avec la Sécurité sociale qui a mis fin à ses droits avant sa 41e intervention et lui promet un logement pour personne à mobilité réduite. Sa secrétaire m’a dit vouloir faire le point avec moi. Je ne saisis pas : cela fait 33 mois qu’ils font le point ! »

Le premier adjoint déplore « l’animosité contre la maire »
Inès, Dounia et leurs soutiens, très actifs sur Twitter, pourraient avoir joué un rôle dans la décision soudaine de la Ville. Mercredi, l’adjoint a déploré « l’animosité sur les réseaux sociaux et dans les médias envers la maire ». « J’aimerais une analyse philosophique de ce commentaire. Franchement, c’est tout ce qu’il trouve à dire ? Où se situe l’humain, dans sa phrase ? Vu la façon dont Mme Hidalgo nous a traités, heureusement qu’il y a la presse et des milliers d’anonymes qui ont signé la pétition. Ces gens qui se lèvent à nos côtés sans rien demander, comme un seul homme, me rendent fière d’être Française », témoigne Dounia.

Au sujet de l’indemnisation, elle se dit comme Saint Thomas, se référant à une citation apocryphe : « Je ne crois que ce que je vois. Pour l’instant, je suis sceptique. Je cherche où est l’embrouille. » Mais si l’argent est versé avant la 3e commémoration de la catastrophe, ce qu’elle souhaite, « alors les trois orphelins de Laura, la touriste espagnole tuée, vivront avec plus de 800 euros par mois. Angela achètera ses chaussures orthopédiques et Ameroche, lui aussi gravement blessé, sans indemnités depuis le mois de janvier, réussira à survivre. Et on pourra dire que Paris est la capitale du pays des droits de l’Homme ».

*Victimes et rescapés de l’explosion de la rue de Trévise

**Pour homicides et blessures involontaires, destruction, dégradation, détérioration par l’effet d’une explosion ou d’un incendie.

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