LÉGISLATION I L’ADOPTION PAR LA FRANCE, DANS UN CONTEXTE DE MENACE TERRORISTE, D’UNE NOUVELLE LOI ANTITERRORISTE ET DE LA LOI « CONFORTANT LES PRINCIPES RÉPUBLICAINS »

I) L’ADOPTION D’UNE NOUVELLE LOI ANTI-TERRORISTE DANS UN CONTEXTE DE MENACE TERRORISTE

Le parlement a adopté, le jeudi 22 juillet, un projet de loi n°4104 porté par les ministères de l’Intérieur et de la Justice, sur le renseignement et la lutte contre le terrorisme. Ce projet de loi, intitulé « Prévention des actes de terrorisme et au renseignement », a été adopté (le 22 juillet) par 108 voix contre 20 contre, et 3 abstentions en lecture définitive par l’Assemblée Nationale. Il vise notamment à faire entrer dans le droit commun des dispositions qui se trouvaient dans la loi n°2017-1510 dite SILT (pour la « Sécurité Intérieure et Lutte contre le Terrorisme ») du 30 octobre 2017, et qui n’avaient vocation à être mises en œuvre que jusqu’au 31 décembre 2020 initialement, délai ensuite prorogé jusqu’au 31 juillet 2021. Pour rappel, la loi SILT a vu le jour le 1er novembre 2017 alors que l’état d’urgence décrété après les attentats de novembre 2015 prenait fin.

La loi, bien qu’adoptée, n’a toutefois pas encore été promulguée, l’aval des juges du Conseil Constitutionnel étant une condition sine qua none dès lors que plus de 60 sénateurs ont en l’espèce saisi le juge constitutionnel, conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution.

Cette adoption arrive dans un contexte particulièrement inquiétant au regard de la vidéo diffusée par Al-Qaïda le 15 juillet dernier visant à « condamner le blasphème incarné par les caricatures de Mahomet ». Le ministre de l’Intérieur Gérald DARMANIN, a en conséquence écrit aux préfets pour les appeler à conserver un haut niveau de vigilance cet été face à la menace terroriste, alors que la France est en « reprise partielle des activités économiques et culturelles ». Les ministères craignent que cet appel d’Al Qaïda, par l’intermédiaire de son média « As-Sahab », qui exhorte à attaquer la France, présentée comme leader dans la prétendue guerre de l’Occident contre l’Islam, ne pousse à l’acte des « loups solitaires ». Les derniers attentats terroristes ont démontré que la menace endogène est bien réelle. En effet, depuis 2020, neuf attaques islamistes ont fait 12 morts en France. « Sur les huit dernières attaques, le profil des auteurs est celui d’individus isolés, inconnus des services de renseignements et qui se sont radicalisés très peu de temps avant de passer à l’acte », relevait le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Laurent Nunez au lendemain de l’attentat de Rambouillet.
Le directeur de cabinet de la place Beauvau, Pierre de BOUSQUET, dénonçait un « potentiel de diffusion important » de cette vidéo, celle-ci étant très virulente et en langue arabe sous-titrée en anglais. La menace est importante, au point que Pierre de BOUSQUET la compare à celle de l’automne 2020 quand la France a été frappée par une série d’attaques terroristes en plein procès des attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hypercacher. Gilles SACAZE, expert en sûreté et ancien agent de la DGSE affirmait : « Oui il faut le prendre au sérieux d’autant qu’assez souvent par le passé et encore aujourd’hui, on a 20 ans de recul maintenant donc on peut plus être surpris. A chaque fois qu’il y a eu ce genre d’annonce ça s’est suivi d’attaques, certes low-cost et de basse intensité, mais attaques tout de même ».
Le président de la République Emmanuel MACRON et le ministre de l’Intérieur, Gérald DARMANIN, sont « explicitement visés et cités » dans la vidéo. L’inquiétude est d’autant plus grande que l’échéance de l’ouverture le 8 septembre à Paris du procès des attentats du 13 novembre 2015 arrive à grands pas.
Un haut responsable du Renseignement confiait toutefois au média « Le Parisien » que « c’est un rappel à la vigilance comme on en fait régulièrement, mais il n’y a pas eu d’élévation du niveau de la menace ».

A) UN VOLET RENFORCEMENT DU RENSEIGNEMENT

Le projet de loi prévoyait tout d’abord une pérennisation de la technique dite de l’algorithme qui a été autorisée à titre expérimental par la loi n°2015-912 du 24 juillet 2015. Cette technique permet un traitement automatisé des données de connexion et de navigation sur Internet, grâce à la coopération des fournisseurs d’accès, afin de repérer les profils à risque.

Le texte permettrait l’élargissement des possibilités de concours des opérateurs de télécommunications électroniques, l’augmentation de la durée d’autorisation de la technique de recueil de données informatiques. La lettre rectificative du gouvernement a tenu à prendre en compte la décision « French Data Network » du CE du 21 avril 2021 (requête n°393099), faisant suite à la décision de la CJUE en date du 6 octobre 2020 (affaires jointes C-511/18, C-512/18 et C-520/18) qui enjoignait au gouvernement de modifier, sous 6 mois, certaines des dispositions de la loi relative au renseignement.

Il est également question de fluidifier et encadrer les échanges de renseignements et d’informations entre services de renseignement, ainsi qu’avec les autorités administratives.

Le texte prévoit aussi une réforme de l’accès aux archives classifiées. Il rallonge le délai 50 ans prévu pour la déclassification, pour les documents les plus sensibles (affaires de renseignement, conception technique et emploi de certains matériels de guerre, bâtiments militaires, installations nucléaires militaires et civiles, barrages hydrauliques etc.), suscitant en conséquence l’ire des historiens et de sénateurs de différents bords politiques (de gauche et du centre).

B) UN VOLET RENFORCEMENT DE LA PRÉVENTION DES ACTES DE TERRORISME

En premier lieu, le projet de loi visait initialement à pérenniser 4 dispositifs issus de l’état d’urgence, notamment par la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 :
- Les périmètres de protection ;
- La fermeture des lieux de culte ;
- Les Mesures Individuelles de Contrôle Administratif et de Surveillance (MICAS) ;
- Les visites domiciliaires.

En second lieu, le projet de loi (dans sa version définitive) prévoit de nouvelles mesures dont la nécessité est apparue ces dernières années :

A son article 3, la possibilité de fermer des lieux dépendant d’un lien de culte, pour éviter que ces lieux ne soient utilisés par les associations gestionnaires du lieu de culte dans le but de faire échec à sa fermeture (modifiant ainsi l’article L227-1 du Code de la sécurité intérieure).

A son article 4, alinéa 5, l’interdiction faite à une personne sous surveillance administrative et tenue de résider dans un périmètre géographique déterminé, de paraitre dans un lieu dans lequel se tient un évènement « exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace terroriste. Cette interdiction tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée. Sa durée est strictement limitée à celle de l’évènement, dans la limite de 30 jours. Sauf urgence dûment justifiée, elle doit être notifiée à la personne concernée au moins 48h avant son entrée en vigueur. » (modifiant ainsi l’article L228-2 du Code de la sécurité intérieure).

A son article 4, alinéas 7, 14 et 20, la possibilité pour les personnes sortant de prison, condamnées pour des faits de nature terroriste à une peine d’au moins 5 ans ferme ou 3 ans en récidive, d’allonger la durée maximale des mesures de surveillance administratives de 1 à 2 ans. Ces MICAS doivent permettre d’éviter les « sorties sèches » de détention pour des personnes « présentant encore des profils extrêmement préoccupants », a souligné à l’AFP le rapporteur Raphaël GAUVAIN (LREM), et ce, alors que 162 individus condamnés pour terrorisme devraient être libérés dans les 4 prochaines années et présentent un réel risque de réitération des faits, constituant dès lors une réelle menace endogène (modifiant ainsi les articles L228-2, L228-4 et L228-5 du Code de la sécurité intérieure).

A son article 6, la création, vis-à-vis des mêmes personnes, d’une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, susceptible de se cumuler avec ces mesures de surveillance administrative.
Enfin, le projet de loi prévoit à son article 7 de permettre à tous les préfets et aux services de renseignement d’être destinataires des informations relatives à la prise en charge psychiatrique d’une personne qui représente, par ailleurs, une menace grave pour l’ordre public à raison de sa radicalisation.

C) DES DISPOSITIONS SPÉCIFIQUES RELATIVES À LA LUTTE CONTRE LES AÉRONEFS CIRCULANT SANS PERSONNE À BORD ET PRÉSENTANT UNE MENACE

A son article 24, le projet de loi adopté propose de modifier et compléter l’article L33-3-1 du Code des postes et des communications électroniques en ajoutant que : « L’utilisation par les services de l’État de dispositifs destinés à rendre inopérant l’équipement radioélectrique d’un aéronef circulant sans personne à bord est autorisée, en cas de menace imminente, pour les besoins de l’ordre public, de la défense et de la sécurité nationales ou du service public de la justice ou afin de prévenir le survol d’une zone en violation d’une interdiction prononcée dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 6211-4 du code des transports. Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de mise en œuvre de ces dispositifs, afin de garantir leur nécessité et leur proportionnalité au regard des finalités poursuivies, ainsi que les autorités compétentes pour y procéder. »

D) UN TEXTE ADOPTÉ MAIS NON PROMULGUÉ

Ce projet de loi, présenté lors du Conseil des ministres quelques jours seulement après l’attentat de Rambouillet, avait rapidement fait l’objet d’une « lettre rectificative » le 12 mai 2021. Le 2 juin de la même année, le projet de loi était adopté par les députés, avant d’être adopté par le Sénat le 29 juin 2021 avec modifications. Après désaccord en commission mixte paritaire (CMP), le projet de loi a été adopté par les députés le 13 juillet 2021.

Mercredi 21 juillet 2021, le Sénat où les LR sont majoritaires, a réintroduit des modifications apportées en première lecture par des sénateurs inquiets du modus operandi des suivis des personnes condamnées pour des actes de terrorisme et sortant de prison. Pour le rapporteur de la commission des Lois du Sénat Philippe DAUBRESSE (LR), « la divergence porte sur les moyens d’assurer ce suivi de manière efficace et juridiquement solide ».

Le texte a finalement été voté le 22 juillet 2021 par 108 voix contre 20 et trois abstentions en lecture définitive par l’Assemblée nationale, qui valide ainsi sa version au nom du Parlement, passant outre des divergences avec le Sénat. Les députés LFI, soutenus par le groupe communiste, ont échoué à faire voter une ultime motion de rejet préalable. Les socialistes ont également voté contre ce texte.
La ministre déléguée à la Citoyenneté Marlène SCHIAPPA s’est félicitée d’un « large consensus sur la majorité des dispositifs prévus ». A droite, Les Républicains ont déploré par la voix de Raphaël SCELLENBERGER (LR) que le texte ne comporte que « quelques rustines » mais l’a voté au nom de la « sécurité des Français ».

Toutefois plus de 60 sénateurs ont saisi à 2 reprises, les 22 et 23 juillet 2021, le Conseil Constitutionnel (CC), en application de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution qui dispose que : « […] les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs. »

« Nous sommes sur une ligne de crête qui nécessite, pour un texte aussi sensible, de trouver la bonne mesure entre liberté et autorité », avait prévenu le rapporteur du projet de loi, Marc-Philippe DAUBRESSE (LR), dès le début des débats.

II) L’ADOPTION DU PROJET DE LOI « CONFORTANT LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE » (AUSSI CONNU(E)) SOUS LE NOM DE « PROJET DE LOI CONTRE LE SÉPARATISME »)

Présenté au Conseil des ministres le 9 décembre 2020, ce projet de loi n’a finalement été adopté par le Parlement que le 23 juillet 2021.

Ce texte prévoit que les personnes fichées au FIJAIT (Fichier des Auteurs d’Infractions Terroristes) ne pourront plus « exercer des fonctions au contact du public ».

Là encore, le texte bien qu’adopté n’a pas encore été promulgué. Plusieurs groupes parlementaires (LFI, LR, UDI et le groupe « Libertés et Territoires ») ont déjà fait part de leur volonté de saisir les Sages de la rue Montpensier pour qu’ils exercent leur contrôle de constitutionnalité.

Retrouvez ci-dessous en PDF la version définitive du projet de loi antiterroriste adopté en lecture définitive par l’Assemblée Nationale.

Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes