Point de vue - "L’équité impose la participation active des victimes au procès pénal "

Un procès insidieux est mené depuis plusieurs mois contre le statut des parties civiles dans les procès pénaux. L’assaut n’est certes pas frontal. Des avocats, souvent rompus à la défense pénale, convaincus d’être des puristes du droit criminel, mettent en cause l’institution des parties civiles devant les juridictions répressives.

Leur propos ne nie pas la victime en tant que telle. D’une manière obviée, ce sont ses droits à l’audience pénale qu’ils mettent en cause.

On devine quel profit on peut tirer d’une victime muette, simple témoin de ses dommages, sans autre espoir que de s’en remettre à l’accusation pour aller obtenir réparation ailleurs alors que même aux Etats-Unis la victime, par son conseil, participe aux contre-interrogatoires croisés.

L’avocat de la défense, véritable mystique de la vie, fut longtemps, dressé contre le procureur du roi ou de la République, le seul protecteur d’un accusé livré à la violence du système judiciaire. On décèlera un certain narcissisme sans doute dans cette nostalgie romantique du face-à-face entre un Etat vengeur et un accusé sublimé par la puissance de mort de son adversaire. Après l’immolation au Moloch judiciaire, voici venu le temps du procès devant le jury d’un Etat qui s’est interdit de donner la mort depuis 1981, un Etat désarmé, mais grandi. La nature du procès pénal s’en trouve profondément modifiée qui relègue la figure datée du duel héroïque de la défense face au parquet.

Ce sont les victimes qui confèrent dorénavant sa puissance au procès pénal. La relation triangulaire des mis en cause, du procureur et des parties civiles, qui structure la manifestation de la vérité, confère à l’audience pénale une force toute nouvelle et l’importance d’une véritable fait social. Les parties civiles ne se limitent pas, ou plus, à demander la réparation de leurs dommages. Elles nomment, avec technicité et expertise, l’infraction dont elles ont été victimes. Elles sont des sujets actifs, de la vérité et de leur dignité. Elles sont devenues autonomes vis-à-vis de l’accusation avec laquelle elles ne se confondent plus.

L’intervention des parties civiles ne signifie par pour autant une justice systématiquement rétributive car d’elles seules dépend aussi une justice restauratrice. Elles seules peuvent dire leur souffrance comme elles seules ont le privilège du pardon.

LE RISQUE D’UNE HÉGÉMONIE DES VICTIMES DANS LE PROCÈS PÉNAL RESTE UN FANTASME

Dans deux affaires criminelles, il nous souvient qu’une famille d’un jeune Franco-Algérien avait déclaré inutile qu’un seul jour de détention soit prononcé contre un fonctionnaire de police déclaré coupable de coups et blessures mortels contre leur fils… six ans après les faits. Il nous souvient aussi de cette veuve d’un policier tué qui affirmait son hostilité à la peine de mort lors des assises du meurtrier de son mari. L’accusation n’aurait pu le dire.

La présence active des victimes dans le procès pénal n’est pas une intrusion. Il s’agit d’une tendance observable partout. C’est dans ce processus que s’inscrivent les commissions pour la vérité et la réconciliation en Afrique du Sud, les gacaca au Rwanda, ou des processus similaires au Timor, au Pérou, en Argentine, au Chili.

La parole des plaignants y joue un rôle majeur avec, d’ailleurs, un but distinct de la seule répression, car les forts s’excusent devant les faibles qui peuvent accepter le repentir, et les peines s’en trouver diminuées. Notre droit y rajoute le respect rigoureux des formes.

Mais le risque d’une hégémonie des victimes dans le procès pénal, décriée ici ou là, reste un fantasme. Les victimes tutsi attendent toujours que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) d’Arusha leur accorde un véritable droit à la réparation, qui est tout aussi lacunaire dans les statuts du tribunal en charge des crimes commis dans l’ex-Yougoslavie. Les victimes ont été méprisées devant le tribunal de Kambol chargé de juger les auteurs du massacre génocidaire au Cambodge.

En France, la loi de mars 2007 a retiré aux plaignants l’accès au juge d’instruction avant l’achèvement de trois mois d’enquête confiée au seul procureur. Un discours compassionnel à l’endroit des victimes peut ainsi très bien cohabiter sournoisement avec la réduction de leurs droits.

C’est seulement en juin 2010 qu’une proposition de loi parlementaire socialiste sera examinée au Sénat en vue d’instituer la première action de groupe des victimes alors qu’elle existe depuis plus d’un demi-siècle aux Etats-Unis. Les quatorze victimes de l’armée britannique du dimanche sanglant de Londonderry auront attendu trente-huit ans pour être reconnues comme telles.

Le procès équitable, pierre d’angle du procès démocratique, ne se divise pas. L’équité impose la participation active des victimes. Lieu majeur, sinon unique, de leur expression, l’audience pénale est redevenue une séquence sociale essentielle.

Voilà une raison supplémentaire de ne pas réduire le nombre des jurés populaires et d’y reconnaître la juste place des victimes, c’est-à-dire au centre.

Jean-Pierre MIGNARD, avocat à la cour, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris

Publié sur le Monde.fr, le 22 juin 2010


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