Procès de la filière jihadiste Cannes-Torcy : portraits des accusés

Ces membres de la cellule démantelée en 2012 encourent entre trente ans de réclusion criminelle et la perpétuité.

La cour d’assises de Paris est presque trop petite pour accueillir tout ce monde. Au premier jour du procès de la filière jihadiste de Cannes-Torcy, tous les bancs sont remplis. Le président Philippe Roux et ses quatre magistrats assesseurs forment cette cour spéciale réservée aux affaires terroristes. A leur droite, les deux avocats généraux, Sylvie Kachaner et Philippe Courroye, ne diront presque rien de la journée. Les nombreuses parties civiles (associations de victimes, communautaires et antiracistes) font face au box qui accueille dix accusés détenus, encadrés par autant de gendarmes. Juste en dessous, une foule de robes noires assurant leur défense. Avant l’audience, l’un d’eux se plaint de devoir partager une table avec les parties civiles. « On va pas se mélanger, désolé », lance-t-il avant, résigné, de s’installer sur une chaise dans l’allée, à côté de son client comparaissant libre, comme six autres accusés.

Voilà toute la filière, ou presque. Celui qui apparaissait comme le leader charismatique ayant soudé les deux groupes de Cannes et de Torcy, Jérémie Louis-Sidney, a été abattu lors de son interpellation en octobre 2012. Trois autres accusés n’ont pas répondu à l’appel du président : l’un d’eux s’est soustrait à la justice après son placement sous contrôle judiciaire, les deux autres sont en Syrie, disparu ou mort. En l’absence de certitude, ils seront néanmoins jugés, comme les autres.

Tout au fond du box des accusés, du côté de la cour, a pris place Jérémy Bailly, sorte de lieutenant de Louis-Sidney. Les deux hommes se sont rencontrés à la mosquée de Torcy en 2011, deux ans après sa conversion à l’islam. Barbe clairesemée, cheveux longs hirsutes et rasés sur l’avant, il ressemble à un gourou un peu halluciné avec son jogging et son tee-shirt blancs sales. Il est accusé d’avoir commis l’attentat contre l’épicerie casher avec Louis-Sidney. Le 12 septembre 2012, jour de la publication de nouvelles caricatures du prophète Mahomet par Charlie Hebdo, deux hommes lancent une grenade dans ce magasin, ne blessant qu’une seule personne. Un miracle. L’enquête a démontré l’obsession antisémite de Louis-Sidney, que partage Bailly. Dans ses affaires personnelles sera découverte une liste manuscrite d’associations juives et, dans un box qu’il louait à son nom, du matériel pour fabriquer une bombe artisanale. Bailly la destinait à « des militaires ou des sionistes ».

A sa gauche dans le box se tient Maher O., seul accusé à ne pas avoir la nationalité française. Le Tunisien a été repéré grâce à son ancienne compagne. En juin 2013, alors qu’elle dépose plainte pour violences conjugales, elle révèle aux forces de l’ordre qu’il veut attaquer des militaires. Le lendemain, les policiers l’interpellent, craignant qu’il gagne la Syrie. Maher O., queue-de-cheval et barbe fournie, ne cille pas lorsque le président rappelle l’épisode à l’audience. Les deux accusés assis à sa gauche, également du groupe de Cannes, avaient quant à eux réussi à partir quelques mois plus tôt. Et même réussi à rentrer pour l’un d’eux, manquant de peu le premier attentat commis par un « revenant » au printemps 2014 : du TATP, un explosif prisé des jihadistes, sera retrouvé juste à côté du domicile d’Ibrahim B. Sourire aux lèvres, il affiche un air détaché. Sans barbe, mais ses cheveux noirs noués par un élastique rose, le Cannois regarde de temps en temps les peintures au plafond de la cour d’assises. Avec la concentration forcée de celui qui se sait observé.

Son voisin de derrière, Abdelkader T., interpellé fortuitement sur le chemin du retour, a un air plus grave. Il ne ressemble plus du tout à sa photo dans le dossier judiciaire. Son visage juvénile s’est couvert d’une épaisse barbe noire, sa brosse a poussé au point qu’il puisse attacher ses cheveux. Kévin P. et Alix S., deux membres de la cellule de Torcy, sont plus silencieux que leurs voisins. Ami de longue date de Bailly, le second a délaissé en 2010 le bouddhisme de ses parents laotiens, puis séjourné en Tunisie et en Egypte. Lorsque retentit la sonnette annonçant l’entrée de la cour, il refuse de se lever, malgré l’insistance des gendarmes. La provocation a dû plaire à son acolyte, Jamel B., qui l’imite après les suspensions suivantes de séance.

Lui ne tient pas sur sa chaise. Cheveux ras, collier de barbe, regard noir, il communique par geste avec ses coaccusés comparaissant libres, s’attire les réprimandes de ses gardiens, recommence. Quand le président lui demande son identité et son adresse, il précise : « Nanterre, QI [quartier d’isolement, ndlr] » et le numéro de sa cellule. Louis-Sidney et ce délinquant multirécidiviste se sont liés d’amitié en prison. Après avoir passé un mois en Syrie à l’hiver 2013, il a participé aux repérages d’un camp militaire, en vue de commettre un attentat d’après l’enquête. Tous seront dans ce box jusqu’au 23 juin au moins. Ils encourent entre trente ans de réclusion criminelle et la perpétuité.

Source : liberation.fr
Auteur : Pierre Alonso
Date : 20 avril 2017

Crédit photos : Source : liberation.fr Auteur : Pierre Alonso Date : 20 avril 2017

Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes